Culture et fierté nationale


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Photo: Endrys Correa Vaillant

Qu'est-ce que la culture ? La question peut paraître délicate, car nous savons tous ce que c'est, mais depuis que Cicéron lui a donné son nom, il se trouve que plus de 250 définitions ont déjà été recensées entre les philosophes, les anthropologues, les sociologues et autres spécialistes des sciences humaines. En d'autres termes, pour répondre avec prudence, pour définir le temps, il serait peut-être opportun d’avoir recours à Augustin d'Hippone : « si personne ne me le demande, je le sais, mais si on me le demande, je ne le sais plus.»
Quoi qu'il en soit, au-delà de la rationalité philosophique, il semble que la culture soit quelque chose qui se traduit par certaines réponses émotionnelles conditionnées. Pour savoir si un fait, une idée, une habitude est typique de notre culture, nous ne consultons ni le dictionnaire ni un traité de métaphysique, nous réagissons tout simplement. Face à ce phénomène, intervient un sentiment d'acceptation, de rejet, de doute ou de perplexité...
Nous disons culture, au singulier, mais peut-être devrions-nous dire cultures, car il en correspond une à chaque société. Par exemple, les sociétés arabes ont une vision du monde très différente de celle des sociétés occidentales. Et qu'est-ce qu'une société ? Techniquement, c'est un groupe organisé d'individus, mais si nous l’amputons de la variable culture, s'agira-t-il alors d'une société ou d'un collectif ?
Supposons que nous nous réveillions demain sans cet ensemble d'idées, d'habitudes et d'émotions que nous appelons la culture cubaine. C'est un exercice difficile à imaginer, mais essayons. Soudain, tout ce qui nous apporte de la fierté cesse d'exister pour nous. L'hymne, le drapeau, les luttes pour l'indépendance, les héros, nos expressions artistiques, la façon dont nous nous divertissons, dont nous comprenons le monde, nos aspirations... Tout cela nous paraît étranger.
Une société pourra-t-elle se soutenir ainsi, sans que pour cela elle n’utilise une répression violente ? J'aborde un sujet qui revient régulièrement sur les réseaux sociaux. Je me souviens qu'il y a quelques mois, lors d'une émission, un intervenant a déclaré que nous avions perdu notre fierté d'être Cubains. Cette opinion a suscité un débat intense et cette matrice est toujours d'actualité, mais avons-nous cessé d'être une société pour devenir un collectif ? Quel ciment nous unit-il dans ce cas ?
Je me souviens que cette intervention commençait par nous dire que le patriotisme cubain ne pouvait pas être limité à la géographie de l'Île. Je pense que nous devons être d'accord avec cela : il y a des Cubains patriotes dispersés dans le monde entier. Cependant, on nous a dit ensuite que nous pouvons apprécier la perte de patriotisme chez un certain pourcentage de jeunes qui vont chercher la prospérité à l'étranger, ce qui constitue déjà une contradiction : le patriotisme dépend-il de la géographie : oui ou non ?
Il se trouve que, comme nous l'avons déjà vu, la culture s'exprime à travers des réponses émotionnelles, et en période de crise économique, il y a érosion des émotions. Nous manifestons un certain sentiment d'angoisse qui, cependant, est dirigé vers le ponctuel et l'immédiat, et non vers d'autres valeurs de plus grande importance. Dans de telles circonstances, un groupe de personnes cherche à échapper au stress causé par les carences économiques en émigrant vers des lieux où ils pensent que leur situation pourrait s'améliorer.
Nous avons vécu trois années très dures : des milliers de morts de la covid-19, de longues coupures d'électricité, un renforcement atroce du blocus. La fermeture du pays, couplée à des dépenses élevées pour faire face à la pandémie, nous a plongés dans une crise économique profonde qui génère des pénuries.
De puissantes forces extérieures ont cru tenir l'occasion idéale pour provoquer une rupture sociale. Ce fut un plan minutieusement préparé, qui a fonctionné dans de nombreux autres pays. Pourquoi pas à Cuba ? C'est la première question qui devrait venir à l'esprit, mais il y en a une autre, plus révélatrice : pourquoi la révolte n'a-t-elle duré qu'un jour ?
La réponse la plus simpliste est : c’est à cause de la répression, mais il faut regarder les journaux, avoir de la mémoire et tirer des conclusions. Depuis Weyler jusqu’à Batista, en passant par Machado, les Cubains savent ce qu'est la répression et tous ces personnages ont fini par tomber. Quelqu’un a-t-il vu des policiers équipés de bouclier, de casque, de gilet pare-balles, tirer sur la foule, comme cela arrive souvent dans d'autres pays ?
Dans ce pays, peu nombreuses sont les personnes naïves qui ignorent qui organise et qui finance ces tentatives de révolution de couleurs. Si émigrer était la preuve d'un manque de patriotisme et de fierté d'être Cubain, pourquoi ne laissons-nous pas les États-Unis réaliser leurs ambitions historiques de dominer Cuba ? Pourquoi, au lieu d'entreprendre cette difficile traversée, où tant de personnes sont mortes, ne pas leur dire : « Entrez, tout ceci est à vous » ? Il est évident qu’il est très important pour nous de continuer à être cubains.
Non seulement la rupture sociale n'a pas eu lieu, mais elle n'est même pas en vue. Si ce n'est pas de la fierté, de l'identité, de la passion pour ce qui nous appartient, alors retournons avant Cicéron, quand la culture n'avait pas encore de nom, et donnons-lui en un autre. En fin de compte, il ne s’agit pas d’une question de sémantique ; la question est de résister.


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