Au commencement était l’action.
Goethe
L’essence la plus intime de l’être
est sa volonté de puissance.
Nietzsche
Je vois les équations de mes pensées.
Ted Chiang
Avant-propos
Les instincts de plaisir et de mort, Éros et Thanatos, règnent sur le monde de Freud, le fondateur de la psychanalyse. Mais il a oublié le troisième acteur : l’instinct de puissance. Nous l’appellerons Prométhée, et il est selon nous le moteur de l’histoire humaine.
Prométhée, c’est ce demi-dieu qui vola le feu de Zeus pour le donner aux hommes et fonder leur pouvoir et l’âge du feu. Aujourd’hui, il revient hanter l’humanité et se déchaîne à nouveau, exultant dans le rêve de puissance de l’âge du numérique. Il réapparaît sous la figure mythique de CyberProméthée. Il nous promet le surhomme, celui d’un posthumanisme né du Choc du numérique.
Jamais, dans toute l’histoire de l’humanité, n’avons-nous été confrontés à un défi collectif aussi démesuré que celui de la puissance technologique du numérique. Son développement paraît exponentiel. Il bouleverse tout le kaléidoscope des activités humaines et remet en cause la planète, la vie et le destin même de notre espèce, éventuellement pour le meilleur, possiblement pour le pire. Le choc du numérique est infiniment plus radical que celui de l’énergie atomique, parce que les applications des langages et des technologies numériques sont illimitées. Nous devrons apprendre à maîtriser l’instinct de puissance qui est au cœur de cette révolution du numérique. Parce que ce défi est collectif, la menace étant universelle, nous allons devoir aussi réhabiliter l’éthique, dans sa dimension collective, et non plus seulement individuelle.
Et nous devrons reconnaître à la science et à la technologie la place qui leur revient désormais dans notre culture, à l’égal de la religion et de l’art, dont elles prennent la relève.
C’est là que se situent le fondement même et l’urgence de la cyberphilosophie, qui nous permettra de faire face aux défis de cette nouvelle cosmogonie numérique.
Et parce que nous sommes confrontés à la double condamnation de la science qui nie l’importance de l’humain dans l’univers, et de la technologie qui veut y substituer le posthumain, une nouvelle sensibilité s’éveille, qui tend à revaloriser la singularité de l’homme et sa fragilité, annonciatrices d’un retour du romantisme.
CyberProméthée confirme ainsi, au-delà de la psychanalyse de l’inconscient individuel, l’importance de la mythanalyse pour comprendre le rôle déterminant des mythes dans l’inconscient collectif le plus actuel. Nous nous étions engagés dans cette voie avec la publication sur internet de Mythanalyse du futur en 2000, qui jetait les prémisses de cette approche nouvelle en sciences humaines. Car la société ne s’allonge pas sur le divan du psychanalyste. Mais sa culture, ses proclamations, ses grandes peurs, ses espoirs et ses utopies en disent long à celui qui s’y arrête. Et c’est dans l’évolution de l’imaginaire social, que nous découvrons la source des valeurs, des structures et des références, le plus souvent non dites, qui dominent nos sociétés.
Certes, la psyché humaine semble assez constante dans ses figures de référence mythiques ; mais leur expression se métamorphose selon les époques et les sociétés. Et la révolution technoscientifique qui préside à la naissance de l’âge du numérique a curieusement réveillé Prométhée, le dieu le plus proche des hommes, en lui attribuant de nouveaux pouvoirs d’apparence magique, qui se situent au cœur de notre pensée actuelle et suscitent les étranges dérives du fantasme posthumaniste. CyberProméthée nous promet les pouvoirs des dieux dans la nouvelle cosmogonie numérique du IIIe millénaire. CyberProméthée domine aujourd’hui la scène sociale dans les civilisations du Nord.
Cette étude se poursuivra avec Qu’est-ce que la mythanalyse ? et Mythologies des classes moyennes, qui contribueront, nous l’espérons, à fonder la démarche de la mythanalyse et ses applications. Les imaginaires sociaux mènent le monde : telle est notre conviction. À notre insu le plus souvent, ils sont aussi actifs et déterminants aujourd’hui qu’au temps des Grecs, des Vikings ou de l’animisme tribal : voilà l’étrangeté qui contredit tous les discours officiels rationalistes. Il est temps de réhabiliter l’obscurité de la pensée humaine et son imaginaire omniprésent, que le rationalisme positiviste du xixe siècle a tenté en vain de refouler, alors qu’ils fondent toutes nos actions et toutes nos théories. Nous en sommes convaincu : le postrationalisme sera la clé du xxie siècle et il nous faudra mieux le décrire aussi.
En pratiquant la méthode de la fascination critique qui est la nôtre, nous ne croyons pas pour autant sombrer nous-même dans l’obscurantisme, les fausses sciences et tous ces fantasmes si répandus dans les croyances populaires. Bien au contraire, en allumant la lumière dans la caverne, nous croyons exercer davantage notre jugement critique, notre exigence de lucidité à l’encontre de l’aliénation générale, et contribuer à nous libérer de tous ces fantômes qui règnent jusque dans les illusions du rationalisme le plus rigoureux et que trop d’esprits exigeants croient devoir cacher sous le tapis.
Montréal, 2002.
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Urgence
Cher Babazou.com, la chambre du bébé est prête. Le petit lit est là, avec un hochet intelligent, qui réagit par des sourires à l’infrarouge, et donne l’alerte dans la maison en cas d’agitation anormale, avec la pompe à puce pour le lait des tétées et un bracelet numérique pour tous les contrôles cardiaques, les tests d’intelligence et les principaux indices neurovégétatifs.
Je vous ai déjà acheté aussi une webcaméra, installée au pied du berceau et branchée sur l’internet pour surveiller sur mon écran de téléphone mobile mon petit chérubin à tout instant, si je devais m’en éloigner. L’accessoire pour commander à distance par satellite le bercement du bébé fonctionne très bien. J’ai une réserve de langes électroniques pour les tests naturels et pour m’avertir chaque fois qu’il faut remettre au sec les petites foufounes. Tout a été programmé en toute conformité avec les instructions de l’ordinateur de ma clinique point.org.
Mais j’ai un problème : le centre de clonage automatique a trop de demandes et ne pourra pas me livrer ma petite Jeanne.net à temps pour Noël. Je la voulais pour le 24 décembre, parce que mes parents seraient là pour l’arrivée si désirée.
Cher Babazou.com, êtes-vous en mesure de me livrer une Jeanne.net pour le 24 décembre ? En avez-vous seulement en stock ? J’ai choisi le numéro 47b (sans OGM) de votre catalogue en ligne, de sexe féminin, avec des talents en mathématiques et en écologie, souriante et sans problème, affectueuse et de format et comportements réguliers. Merci aussi de la programmer pour qu’elle adhère à l’idée d’un Québec souverain dans un Canada uni – option 4b – (j’ai coché la case du formulaire et accepte le petit supplément de 25 $ à payer). J’ai coché non pour la case « performances supplémentaires », par prudence.
J’ai accepté le contrat de service après vente et la garantie de deux ans. Je demande la réduction de 10 % que vous proposez pour participation à un panel d’observations hebdomadaires de la première année de développement de Jeanne.net, ainsi que la réduction de 5 % correspondant à l’option C12 de Forum d’échanges entre jeunes parents Babazou.com.
Voici mon numéro de carte de crédit avec la date d’expiration.
Merci de me confirmer par retour de courriel la réception de cette commande, la disponibilité en stock et la date de livraison.
Merci aussi de me confirmer mon droit de vous retourner ma commande dans un délai de deux semaines, sans avoir à fournir de justification, et de recevoir le remboursement intégral du montant demandé, si je ne suis pas entièrement satisfait, ou si vous n’avez pas respecté le délai de livraison.
Merci de m’envoyer aussi la facture correspondante conformément au formulaire T26 de crédit d’impôt.
Signé/crypté : cyber.hom
CyberProméthée, l'instinct de puissance
Dr. Hervé Fischer
(éditions vlb, 2003 et UNTREF, Argentine)
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