Vue d’une ferme au crépuscule


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VUE D'UNE FERME AU CREPUSCULE

Les jours de ta vie.1977

Pourquoi ont-ils peint, les grands Hollandais
ces paysages
où l'on voit voit une femme découper ses contours
sur une brume d'or
et, de dos, une jeune fille jeter heureuse de quoi
manger aux poules
tandis que le soleil, plutôt qu'à l'horizon
s'enfonce en la mémoire.
Elle ne tournera jamais, la jeune fille, son visage
vers nous,
jamais n'en finiront les poules de quêter
confiantes, obstinées,
redressant leur cou blanc là-bas, à tout jamais.
Nul jamais n'ouvrira la porte du logis,
le vent n'arrachera jamais de feuilles au chêne.
Lundi et vendredi, cependant, vont et viennent
en trombes endiablées :
qui contempla hier la fête immobile
de cette jeune fille
n'est pas le même que celui qui aujourd'hui tresse
en lettres sa nostalgie,
non, ce n'est pas le même.
Mais pour elle qu'importe. La ligne de son dos
ne s'émeut même pas
de ce léger frisson des épaules par quoi
le rêveur effarouche les yeux qui le dérangent.
Nous pouvons bien mourir, cela ne l'atteint pas :
tournée vers soi, ailleurs, elle répand les grains
comme des astres
et goûte sur ses lèvres, plus belles que rêvées,
invisible délice,
la saveur de l'instant, comme une boisson d'or.

ELISEO DIEGO L'obscure splendeur traduction de l'espagnol (Cuba) par Jean Marc Pelorson Orphée La Différence 1996


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