Eusebio Leal : « Ma Patrie est où je lutte et pas seulement où je suis né »


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Il y a quelque chose de très subtil et de très profond en se retournant pour regarder le chemin parcouru

Le chemin où, sans laisser d’empreinte, s’est déroulée toute la vie.

Dulce María Loynaz

 

Après Fidel, peut-être l'un des intellectuels le plus approché – lors des dernières décennies - par les médias et « cherché » à Cuba par la presse, est mon interlocuteur d’aujourd’hui.

Il enchante avec le mot, pénètre avec son intelligence. Il est un semeur dans le cœur pavé d'une ville. Il est presque toujours vêtu de gris ou d'obscur, si on le regarde du dehors. Celui qui regarde à l'intérieur, brûle avec le contact de la lumière qui lui revêt l'âme.

C'est la sixième fois que je l'ai en face de moi et cela me parait la première. On voudrait poser mille et une questions à un homme et, en même temps, on ne sait pas par où commencer, car c’est une chose d'écouter l'histoire d’une époque ou d'une ville comptée par lui et, l'autre, bien distincte, est d'entrer dans le monde et dans l'histoire d'Eusebio Leal Spengler.

J'ai alors utilisé le prétexte et les honneurs d'un grand évènement pour trouver les réponses à la hauteur d'un sixième étage dans la Lonja del Comercio, pour connaître l'homme qui habite à l'intérieur, pour arriver à sa sensibilité je n’ai qu’une chose : les mots et le sentiment. Mais, surtout, avec l'avidité d'élucider le mystère d'un écrivain qui écrit des livres pour être écouté ; des livres imprimés dans la mémoire, dans l'écoute et même dans le vent.

Comment (et quand) le premier livre est-il arrivé aux mains d'Eusebio ?

Les premiers livres ont presque été une découverte archéologique. Ma maman était domestique dans une maison d'une famille de la classe moyenne. Quand ils partaient tous les ans en vacances, ma maman se chargeait de la maison et m’emmenait avec elle. J'étais très petit (…) et c’était une très jolie maison, dans la rue San Lázaro. Nous montions par un escalier de service de la maison le reste était fermé à clef. Nous entrions dans l'univers, ma maman ouvrait les fenêtres supérieures, commençait à nettoyer et il y avait certains endroits dans lesquels nous n'entrions pas, mais dans la chambre des enfants ils avaient expressément autorisé que je puisse jouer avec leurs choses.

Il y avait un meuble étranger (…) dans un coin. Derrière cette petite armoire j'ai découvert un lion, une cible et un arc, et je me suis amusé quelques jours avec ceux-ci. Mais il y avait une porte mystérieuse qu’on n’ouvrait jamais et, désobéissant à ma maman, j'ai ouvert la porte et j’ai vu quatre grandes étagères - de haut en bas – pleines de livres infantiles. Là se trouvaient Robinson Crusoé, Edgar Allan Poe, Alexandre Dumas, Jules Verne ; il y avait une collection qui se appelait El tesoro de la juventud (Le trésor de la jeunesse). Et à partir de là, le fascinant était les illustrations. Il y avait beaucoup de livres de contes avec des images. Ce sont les premiers livres.

Comme je vivais dans la rue Hospital, entre les rue Salud et Jesús Peregrino, l'école était tout près de Carlos  III, de la rue Castillejo, de La Lomita et de la bibliothèque de la Société Économique. Déjà quand j’allais à l'école, en primaire, j’allais à la bibliothèque et j’étais reçu avec la plus grande amabilité du monde. Pour moi, cet édifice est intime, avec ses énormes médaillons dorés comme des monnaies antiques de Carlos III, le buste de Gertrudis Gómez de Avellaneda à l'entrée, un jardin avec une fontaine et, à la fin, le petit escalier qui montait à la bibliothèque infantile.

Là, aussi, les premiers livres … et, à partir de ces premiers livres, le monde a commencé. Là apparaissaient les grands auteurs, là est apparu Le Comte de Montecristo et toutes ces œuvres merveilleuses de la littérature. Là était le chemin.

Quel espace a occupé et occupe aujourd'hui la lecture dans votre vie ? Une habitude, une passion, une nécessité ?

Les livres ne mettent presque dehors de chez moi. Entre l'année passée et l'antérieur j'ai fait don de la moitié de ma bibliothèque au Collège Universitaire Sain Gerónimo et à la bibliothèque d'Architecture du Bureau de l'Historien. Entre les deux ensembles se sont approximativement 8 000 livres.

Cependant, hier je méditais qu'il était nécessaire d’enlever de ma chambre quatre ou six livres qui s'étaient accumulés sur une petite table. Sur la table pour manger, en ce moment, il y a comme douze ou quatorze, en montant l'escalier il y a divers et j'ai à méditer si je dois les incorporer à ma bibliothèque ou les remettre ou les rendre à la bibliothèque que j'ai fondée. Pourquoi ? Parce que je n'aurais pas le temps de lire, maintenant, ce que je fais ce sont des consultations : je lis, je consulte et je lis toujours un livre … Je termine celui-ci et j’en prends un autre… mais je n’ai pas le temps matériel – en comptant les jours, les mois et les années - pour lire. Alors, c'est une sorte de récréation hédoniste dans les livres. C’est pour cette raison qu’il y a une partie des étagères qui est déjà vide.

Un close-up à l'Eusebio intellectuel avec une empreinte indélébile dans les Sciences Sociales – de fait Prix National dans ce domaine - et à l'Eusebio écrivain, au-delà du mot écrit

Il y a une école à Cuba qui, parfois, résulte ne plus être à la mode : l'oratoire public. Quand quelqu'un fait irruption dans ce domaine, il y a qu'il cause une espèce de surprise, dans quelques cas jusqu'à une inquiétude car il n’a jamais rien lu. Cependant, j’étudie toujours et je me prépare avec la grande tribulation dont – au dernier moment - l'émotion du mot me prive de dire quelque chose qui était fondamental.

J'étudie toujours, jusqu'à un moment, je ne suis pas de ceux qui sont derrière la porte en espérant lire le dernier paragraphe pour l'examen. La nuit antérieure je considère déjà l’affaire terminée et je dis que ce qui n'est pas dans ma tête, ne l’est pas. L'autre je le réserve à ce qui sait l'esprit.

Quand je dicte des lettres, par exemple, je tente qu’elles ne soient jamais pareilles, même pour donner des réponses administratives. Certaines ont été si originales que les réponses ont causé un scandale… Je te dirais que j’essaye de faire cela. C’est pareil pour dédicacer des livres. Je m'abstiens de faire des dédicaces semblables, elles doivent être toujours créatrices ; sauf quand une personne m'apporte un livre que je n'ai pas écrit et elle me met devant un engagement. Elle me dit : « c’est seulement pour avoir un souvenir de vous », alors je signe seulement une page. Mais, en aucune façon, l’œuvre ne sera pas mienne.

Mes œuvres ? Celles qui recueillent la mémoire. Par exemple, mon biographe, Magda Resik a passé des semaines à transcrire des paroles que j'ai dites sur une scène très importante. Et, logiquement, très peu de personnes ont comme elle la capacité de pouvoir éditer un orateur et non un écrivain. Parfois l'idée se répète et est reprise ; car c’est une chose de regarder les yeux du public, en essayant d'exercer une œuvre persuasive sur les consciences, et l'autre est d'aller raisonnablement. Parmi d'autres choses, parce que je n'utilise pas d'ordinateur. Il y a deux ans et demi j'ai abandonné le téléphone portable et je ne veux pas entendre parler de lui. Par conséquent, je suis déconnecté de cette réalité technologique. Je l'admire. J’ai eu la chance que d’autres cherchent les nouvelles pour moi… Mais en général, les fiches sont ce qui conserve ma mémoire. Encore maintenant je peux séparer un travail que je dois dicter sur un sujet historique et dire : « cherchez-moi dans le livre tel, telle chose, cherchez-moi dans l'œuvre telle, ou nous allons tirer l'exergue de tel côté, conformément à la conceptualisation de l'idée.

Quand on a annoncé que la 27e édition de la Foire Internationale du Livre sera dédiée à la personnalité du docteur Eusebio Leal Spengler, quels ont été vos sentiments ? Quelle a été votre réaction après avoir connu une nouvelle si méritée ?

D’abord, les honneurs ne se demandent pas et ils ne peuvent pas être repoussés. Ce serait un acte de vanité. En second, je n’ai pas dis : « je ne le mérite pas », car ce serait déconsidérer le jury. .

J’ai été très surpris et très ému. Je l'ai sincèrement dit à Juanito (président de l'Institut Cubain du Livre) et sincèrement à Edel. J’ai été très touché pour une simple raison ; durant de nombreuses années, je sais que ma cause a été présentée et ma vie a été dédiée à la préservation des sources : archives, bibliothèques… Par exemple, la photothèque du Bureau de l'Historien en compte aujourd'hui 1 500 000. Il y a différentes bibliothèques. Dans l'historique, de Francisco González del Valle, une centaine de livres qui appartenaient à Emilio Roig m'ont été remis ; aujourd'hui il y en a des milliers, mais de plus ce sont des livres très précieux. Les Archives Historiques avaient seulement les Actes Capitulaires. Durant les plus difficiles moments nous avons acquis des centaines, des milliers, de documents par donation, mais aussi en les acquérant monétairement.

Mais cette bibliothèque n'est pas la seule à avoir été fondée. Il y a aussi la Alfonso Reyes, celle de la Maison du Mexique : la Vicentina Antuña (…) dans ce que c'est aujourd'hui la Dante Alighieri ; la bibliothèque d'Architecture, dédiée aux illustres architectes Mario Coyula et Fernando Salinas ; la Bibliothèque Bolivarienne, pour n’en citer que certaines…

Conserver le patrimoine national comportait un acte de mémoire historique, un acte de culture, partagé par moi - modestement - avec mes collaborateurs qui sont et qui ne sont plus, et surtout avec mes prédécesseurs.

Ma cause a été présentée et parfois et toujours il y a quelqu'un qui m'a dit : « le vote n'a pas permis que tu sois le Prix de Littérature ». Et le Prix des Sciences Sociales m'a beaucoup réjoui. Je désire le prix et je me réjouis, car c'est le prix à une œuvre, non pas à une personne. Surtout par la raison que tous, avec affection, me l'ont donné quand presque tout le monde pensait que j’allais mourir. Comme je ne pouvais pas partir sans ce parchemin, le jury - ému - me l'a octroyé. Mais je me réjouis, parce que j'ai vécu pour le voir. Je vais vivre pour pouvoir me présenter, modestement et avec mes modestes livres, à la Foire du Livre, et je vais essayer d'être dans le plus grand nombre d’endroit…

Ma gratitude est éternelle pour l'Institut, pour Juanito, pour Edel, pour le ministre Abel et, bien sûr, pour le jury, formé par des personnes respectables et merveilleuses ; toutes ceux qui m'ont accueilli chaleureusement le jour de la nouvelle, avec beaucoup d’enthousiasme et d'affection.

L'Histoire en général et La Havane en particulier ont absorbé la plus grande partie de votre vie. Peut-on dire que c'est une relation de l’amour/nécessité et de l'oxygène/amour ? Pour ce qui est du 500e anniversaire de la fondation de cette ville, au milieu de ce que vous avez nommé un « mouvement perpétuel d'actions » pour cette Ville Merveille, en quoi réside, pour le docteur Eusebio Leal, la Merveille de La Havane ?

Elle a toujours été merveilleuse pour moi : La Havane que j'ai connue, La Havane qui a changé, La Havane actuelle. La Havane dans sa splendeur, dans ses petitesses. La Havane dans ses zones obscures, cachées ; La Havane dans ses zones obscures, non cachées. La Havane dans ses zones détériorées et qui est reconstruite, comme un acte de l'amour et, bien sûr, de ressources matérielles. N'oublions pas que la restauration requiert de l'argent, de l'argent et plus d'argent… et jusqu'à quel point le pays peut-il disposer de ce qui est requis ? C'est le pire moment pour désirer ce que l'on ne peut pas. Le pire moment. Mais si nous nous y mettons tous un peu, on réussira.

Quand je vois que des personnes louent une maison et qu’elles la restaurent bien, je me réjouis. Non pas quand je vois surgir des faubourgs dans la ville et que, semble-t-il, personne ne se rend compte que surgit une architecture de la nécessité, mal orientée, parce que bien orientée elle pourrait être modeste mais belle. La Havane a toujours eu des quartiers très simples (…), mais quand je vois ceci qui surgit, je vois la ville en danger et vois que, parfois, il est plus facile de démolir que reconstruire. Je m’alarme beaucoup.

Je suis né dans un solar (logement communautaire) de Centro Habana, c'est pour cette raison que je connais les enchantements de la vie d'une communauté… ordonnée. L’endroit où je suis né – nº 660 de la rue Hospital - était un lieu très humble, où nous avions seulement une chambre, nous n'avions pas de salle de bain et de cuisine ; cependant, un ordre régnait, une discipline régnait…

Ce sont les choses du passé qu'il faut récupérer : ce sens de l'honnêteté et de la décence venant des plus humbles et qui n'admet pas ce mépris avec lequel parfois, dans un autobus, que personne ne se lève quand une femme monte avec un enfant. Dans ce passé - pour tant de raisons, abominable ; pour tant de raisons, digne – il faudrait que tous les hommes se lèvent, comme une espèce de danse, quand une femme monte dans le bus…

C'est (aussi) La Havane … La Havane du cinéma, La Havane des théâtres, La Havane des parcs et des jardins, La Havane des monuments et de statues. Quelle douleur de restaurer un monument maintenant et qui, rapidement se couvre de graffitis (fait de plus avec un nouveau matériel qui pénètre dans le marbre et il faut poncer un millimètre) et, après que tu termines, ils reviennent à nouveau.

Ou un monument diabolisé car il est considéré du passé. Bien, figurez-vous ce qu’aurait pensé Lénine de tout cela quand il a chargé Krupskaya, Lunacharsky et Dzerzhinsky de préserver les monuments de la Russie, et ils les ont préservé des mouvements telluriques que suppose une véritable révolution.

Il faut soigner l'ornementation de la ville, sa propreté, son décor. Comment est-il possible de sortir dans la rue en tee-shirt ? (…) La Havane est une capitale, non pas un village. Et la capitale d'une grande nation : Cuba, c’est La Havane.

Vous êtes beaucoup plus que l'Historien de cette ville ; de la même façon qu’Habana Radio est la voix du patrimoine, Eusebio Leal est la voix et patrimoine d’une grande partie de notre Histoire. Votre gestion dénote que La Havane a beaucoup de vous : alors, combien Eusebio Leal a-t-il de La Havane ?

Tout. Indépendamment qu’avec le temps je suis devenu plus universel, donc plus œcuménique. (…) Si, demain, je suis nommé Historien à Baracoa - après que la frayeur me passe - je me sentirai baracoano, ce serait pareil si on me nommait à Santiago, à Camagüey, à Gibara ou à Pinar del Río.

Ma Patrie est où je lutte et pas seulement où je suis né.

Je crois qu’il en est ainsi, de plus j’ai appris que chez des femmes, en thème de culture, en thème d'amitié, on ne peut jamais faire des comparaisons. Que chaque chose a son enchantement, que chaque chose est différente, que chaque chose est singulière.

Santiago est différent de Ciego de Ávila. Heureusement, Ciego de Ávila est différent de Camagüey, étant le même grand territoire agramontino allant d'une rivière à l'autre. Ce sont des identités. Une chose est la division politique et administrative et une autre chose est l'Histoire, une autre chose est la Culture.

Comment imaginer Cuba autrement ? C'est une union d'identités. Et La Havane est égale. Quand je suis né, il y avait 48 quartiers. Je me distrais quand j'entre par les rues détruites du Cerro, cherchant l’ancienne Société du Pilar, en cherchant dans ce quartier que j'ai connu car là était l’école où ma maman était concierge.

Mais Centro Habana…Voulez-vous quelque chose de plus imaginatif, de plus joli ? Où l'éclectisme a fleuri d'une manière incroyable : des oiseaux sur les façades, des atlantes qui soutiennent des balcons, des cariatides qui chargent des colonnes. Cela est l'incroyable. La ville des colonnes de Carpentier… se promener sous les péristyles, se protéger de la pluie, du soleil, en conversant… (La merveille de) La Havane.

Comme défenseur vigoureux de la culture, de l'identité, de la nation, je voudrais connaître sa perception sur la triade histoire-littérature-culture… : quelle est la clef de cette synergie pour la défense d'une nation en général et, spécialement, pour la défense de la mémoire, du patrimoine et de l'identité de Cuba aujourd'hui ?

Ce sont les écailles du poisson, les écailles métalliques de la cuirasse du chevalier. Pour te défendre tu dois avoir une cuirasse et la culture est la cuirasse. Mais ce n'est pas une cuirasse qui te prive du dialogue; quand tu es entre amis, entre des frères, nations, personnes, institutions, tu retires la cuirasse mais tu as l'âme.

Tu as la musique, la poésie, la littérature, les expressions de l'époque de l'art - antique, moderne, contemporain -, l'architecture, les dictons populaires, l'identité de chacun.

Quand tu parcours l'Île de Cuba, de Pinar del Río à l’Orient, tu vois comment la langue oscille et elle se convertit en discours unitaire, où les mots acquièrent parfois une signification différente, subtile, poétique. Tu parcours le chemin et tu as ces traits… et tout cela, un cosmos, c'est une identité.

En Amérique, les Antilles forment une identité. Et avec elles, les Caraïbes, qui ont d'autres racines mais qui s’unissent harmoniquement à partir d'une histoire commune de souffrance, de création, d'expectative, de rêves de liberté, d'harmonie. Et, bien sûr, nous avons toujours voulu être une Amérique, indépendamment de laquelle nous sommes insulaires et, comme tels, nous vivons toujours à côté du bord de la mer.

Nous avons besoin de voir la mer. Quand tu entres dans une ville de Cuba les gens rêvent de la mer. Voir la mer. C’est très important pour nous. Tu te promènes sur le Malecón la nuit et tu as la mer. Parce que tout arrive de la mer. L'homo cubensis n'existe pas. L'homme cubain, l'être humain cubain s'est formé des émigrations, chacune a apporté son identité. Les peuples aborigènes sont venus des îles un jour, avec tous leurs rêves, leur mystique, leur vision de la création du monde, de l'océan.

Après sont arrivés ceux qui venaient de l'Europe. Ensuite sont arrivés ceux qui venaient de l'Afrique diverse, avec leurs rêves aussi, avec leur liberté violée, avec leur désir d'identifier chaque arbre, chaque créature, chaque oiseau ; avec leur propre mystique. Derrière sont arrivés ceux du pays du lotus, comme disait Dulce María (…), ils se sont réunis dans cette méditerranée, formant ce que sont les Cubains : un mélange qui naît de l'esprit et non seulement du sang. Le sang appelle, mais la culture détermine.

Février 2018 non seulement apporte le plus grand évènement culturel du pays, mais un moment définitoire - un exercice de démocratie - avec des élections générales dans lesquelles ne manqueront pas des noms clefs de la génération historique … : ce sont des expectatives, des défis laissant voir des péremptoires pour notre nation ?

Elle est aux mains (la nation), complexement, de la nouvelle génération et des générations qui ont coïncidé avec l'historique ou qui sont déjà immergées dans la réalité cubaine. La validité du legs est dans leur capacité de l'administrer. La validité du legs est de comprendre quels ont été les éléments clefs par lesquels nous avons lutté, rêvé, souffert, vécu, mort et ressuscité. Je veux dire : la souveraineté nationale, l'intégrité de Cuba, le droit à l'intégrité de la nation, le droit à la libre détermination, le droit à la prospérité - qui est très importante -, le droit d'aller de l’avant qui est, en définitive, le destin de tout peuple et de toute génération.

Si celle qui nous a précédés - et le legs que nous avons aidé à accumuler - a été transmis, cela est le plus important. Non comme celui qui croit en une consigne ou celui qui croit en un dogme, que ce ne soit pas comme ce qui est arrivé à ce général de l'empire qui - blessé à mort - a dit ces mots : « dites à l'empereur que je me présente devant la postérité avec les mains vides ».

Ni la génération historique dirigée par Fidel, ni la mienne, se présentent devant la postérité avec les mains vides. Nous avons déposé quelque chose. Maintenant, les autres choses sont à vous.

Eusebio et Fidel, dans la proximité, dans la culture oseriez-vous à faire le portrait en paroles du Fidel intellectuel ? Comment serait ce portrait ?

Dans ce Congrès de l'UNEAC (Union des Écrivains et de Artistes de Cuba), mémorable, au milieu de la grande possibilité d'un affrontement mortel avec notre adversaire, il a dit : « le premier que nous avons à sauver est la culture, parce que c'est elle qui va préserver à la nation, c'est elle qui fera surgir jusqu'à un Phénix d'une montagne de cendres ». La culture est un Phénix.

Il a fermement cru en cela et, pour cela, il a catégoriquement affirmé la culture - parce qu'il l'avait - et les idées, parce qu'il les défendait et il a su les défendre, à un tel point, comme dit la chanson de Raúl Torres, qui est si belle, « il n'y a pas un seul autel sans une lumière pour toi », mais il dit aussi que là devant, va « lentement sans cavalier, un cheval pour toi ». C'est le legs : que même la mort ne croit pas qu'il est mort. Le legs est d'avoir su transcender, sans la nécessité de statues et de monuments, ni d'essayer de forcer ou d'écœurer avec sa mémoire. Ni de créer une religion de sa mémoire. Fidel était (est) un homme d'idées. Et il est impossible de l’effacer du temps historique qu’il a vécu, et il sera impossible de l´effacer de l'histoire de l'Amérique et du monde.

Si Eusebio Leal était un livre : quel titre aurait-il, quel serait le prologue en guise d'une foi écrite sur la façon dont il voudrait qu’il soit rappelé par les nouvelles générations de Cubaines et de Cubains ?

Ta question est la plus difficile du monde. Figures-toi, ce que je voudrais être moi, quel acte de si grande vanité que de m'imaginer qui écrirait un livre qui soit transcendant. Quel exergue pourrait-on placer dans ce livre, quel exergue ? Non, franchement, je ne sais pas.

Et la meilleure réponse se trouve alors dans un silence fertile, un silence suscité par la voix intérieure d'une modestie qui se refuse à voir la hauteur de son nom. Qui s'obstine à voir, avec ses propres yeux, la stature de son œuvre… dans les livres écrits pour être lu - que ce sont les moins-, dans la collection de livres qu’il a récités pour qu’on le temps les  écoute.

J'ai deviné un sourire dans le regard, après avoir partagé cet amour tellement sien pour cette ville que je lui ai offerte dans une Ballade passagère pour un romance éternel. Et c'est que, en matière des femmes, il y en a une qui secoue le pavé, le poursuit dans chaque coin, lui érige mille monuments. Une qui commet un délit - avec une récidive fiévreuse - les heures de sommeil, le rendant aux livres pour qu’il réinvente des galanteries. Une qu’on a tatouée dans 500 coins et qui est l’exergue dans le livre de son insomnie : La Havane, dit-on, La Havane d'Eusebio.

C'est l'écrivain que vibre à l'intérieur de l'homme pour qui l'habitude de lecture doit être un compromis « d’induction précoce », comme le « premier jouet » dans la plus verte enfance. L’écrivain qui, par manque du temps – dit-il - s'est limité à « recueillir ce que je dis ou à dicter ce que je fais ». En tout cas, quelle fortune pour les lecteurs et les auditeurs.

Un tireur d'avenir avec les balles de la gloire d'un passé inéluctable, Le plus loyal des gardiens de son histoire, le Don Quichotte cuirassé de foi et avec plus de foi après la cuirasse et l'âme, qui affronte les moulins du salpêtre et le déséquilibre de murs érodés par le temps. « Toujours vigilent », tôt à la rencontre.

Depuis longtemps la postérité le remercie avec les mains pleines. Elle le remercie pour la survie. Et la constante poussée avec les almanachs pour que, avec chaque pierre restituée, on rende la dignité à chaque mur, comme celui qui restaure un rêve. Un archéologue de la culture, l'architecte du meilleur avenir que nous méritons. La parole pausée et le critère dégainé, il me renvoie alors un regard avec un optimisme qui se dessine en vers.  Il y a maintenant seulement un espace pour une Dulce María qui évoque à « mesurer l'amour » (de tous) envers Eusebio : « avec un ruban en acier : Une pointe dans la montagne. L’autre… clouée dans le vent ».

 


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