Julián del Casal à l'hôtel français du Vedado


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Julián del Casal

C’est vers le début de l'année 1890 que le poète et journaliste havanais Julián del Casal décida de visiter « Un hôtel français. Hors de la ville », comme il intitula un texte qu'il publia ensuite dans le journal La Discusión, le 23 janvier. Dans une élégant et « moderniste » chronique, pas très longue, il nous compte de son voyage « dans le poétique lieu-dit Vedado », par une poussiéreuse et large chaussée (probablement l'actuelle rue « Calzada »), entre des monticules verts et les « roches noirâtres » des récifs marins, où quelques pêcheurs tentaient leur chance. C'était la si chère heure vespérale et, étonnamment, Casal nous dit que « la brume enveloppait les sommets verts des montagnes », qui ne pouvaient pas être plus hautes que le château du Príncipe.

Casal ne cache pas son enthousiasme face à ce qu’était le Vedado, avant un terrain inhospitalier et inhabité pour ne pas permettre l'accès par l'ouest à La Havane aux pirates, mais qui était déjà en cette époque  « un agréable petit village, le plus tranquille, le plus pittoresque et le plus moderne de ceux qui se trouvent aux alentours de la ville », qui « a le brillant d'une monnaie neuve et l’allégresse silencieuse des habitants », où la misère n'avait pas encore pénétré et où ses habitants paraissaient heureux. Casal était sans doute un havanais amoureux de sa ville et de ses alentours mais de façon très utopique. Ayant peu d'expériences personnelles pour tenter des comparaisons, il résulte d'un hyperbolisme charmant. Il parle ainsi des nombreux bâtiments « construits à la façon moderne », dont le plus grand est le Salon Trotcha qu’il va visiter, un lieu de réunion de saisonnier  qui, pour lui, « s’est converti en magnifique hôtel, semblable à ceux de Nice, de Cannes, de Saint-Sébastien et d’autres villes stations balnéaires ».

Ce Salon Trotcha, ainsi appelé par le nom de famille de son propriétaire, a d’abord été construit comme un théâtre, quelque chose d’inhabituel pour ce lieu-dit presque dépeuplé, mais qui anticipait ce qui, environ un demi-siècle plus tard, constituera une zone théâtrale active. Casal réalise une description détaillée du lieu, avec un évident sens publicitaire pour attirer des futurs clients (et qui a sûrement correspondu à la générosité du propriétaire envers le journaliste). Derrière la grille de fer on trouvait « un charment jardin », avec des sentiers sablés et de spacieuses gloriettes « sous l'ombre desquelles peuvent se reposer les clients, assis autour d’élégantes petites tables, savourant leurs liqueurs favorites ».

Il détaille les enchantements du restaurant situé au rez-de-chaussée, visité par « de nombreuses familles havanaises, appartenant aux plus hautes classes de notre société ». Mais ce qui lui appelle le plus son attention, dans les canons « modernistes » de l'époque, est « l’élégant salon » à l’étage, auquel on arrive « par un large escalier de marbre, entourée d’une balustrade verte », « décoré de meubles travaillés, de miroirs vénitiens, de tapis somptueux, de vases Japonais et de table couverte de bibelots. Ce salon a l'aspect d'un parlois anglais ». Derrière ce salon se trouvaient les chambres des clients. Et au fond se trouvait encore la scène de l'ancien théâtre.

Le temps n’a pas été clément avec le Trotcha, déjà converti, dans les années 50 du siècle dernier, en une maison presque en ruine, opprimée par les hautes constructions qui l'entouraient. Je me rappelle encore qu'il a eu un crocodile dans l’un des bassins et qu’il y avait une fresque de Miguel Arias, un peintre et scénographe probablement un lointain parent, dans le hall du dernier étage. Je me rappelle aussi les pittoresques escaliers de bois en colimaçon. Sa structure de théâtre était encore visible et j'ai pensé que ce serait très attrayant de le voir reconverti pour cette fonction. Mais tout a fini, il y a quelques lustres, quand un incendie a consommé ses abondantes structures de bois et a seulement laissé debout son porche et « le large escalier, sans marbre ni balustrade ». Comme réconfort, un petit parc l'entoure actuellement.

Casal a sans doute trouvé une compensation à ses misères quotidiennes dans sa chronique et l’hyperbolisme utopique l'a poussé à terminer son texte de façon plutôt délirante : « Tout sybarite qui arrive à Paris se dirige au Grand Hôtel ; mais celui qui vient à La Havane, à l'avenir, dira au cicérone : « À l'hôtel de M. Chaix ». Si le début de l'article peut aussi être qualifié de délirant, au moins, de nos jours, les habitants du Vedado peuvent l'accepter. Casal, en arrivant à ces lares, a rappelé une phrase de Flaubert : « Il y a des lieux si beaux sur la terre que l’on aimerai pouvoir les serrer sur son cœur ».


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