Dialoguer ?


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Photo : ILLUSTRATION TIRÉE DE PINTEREST

Dialoguer est un fait social qui, pour beaucoup, suppose la « civilité ». Dialoguer a « bonne presse » et constitue généralement la meilleure stratégie pour régler (en bien ou en mal) les accords ou les désaccords. Et il est très rare qu'un véritable dialogue omette l'égalité des chances et, surtout, l'égalité des conditions.

Nous savons que la principale condition pour mener un dialogue, dans toute son extension sémantique et pratique, réside dans les volontés ouvertes, vérifiables et proactives d'écouter, que cela nous plaise ou non, ce qu’un interlocuteur pense et fait ; que cette volonté d'écoute, dans sa proactivité, demande aussi une disposition à parvenir à des accords pertinents, concrets et conjoints, avec des changements d'attitudes ; que l'étape suivante d'un bon dialogue serait une coexistence harmonieuse. Mais, cela exige l’égalité (non l’uniformité) des positions objectives et subjectives. Cela est-il possible dans des sociétés divisées en classes ? Seuls les peuples frères dialoguent honnêtement.

Même dans des conditions inégales, un certain niveau de dialogue est possible, mais il s'agira toujours d'un dialogue déterminé par les asymétries, et il est de première importance méthodologique d'observer comment et dans quelle mesure ces asymétries influencent les caractéristiques du dialogue, ainsi que ses conséquences à court, moyen et long terme. Cela semblerait parfait si ce n'était que l’on détecte des guets-apens généralement abusifs, qui trahissent ce qui avait pu sembler être une volonté civilisée de résoudre les différends. Nous avons vu des dialogues revêtus de sourires et de discours très prometteurs, immédiatement trahis par mille et un coups fourrés, comme l'ont été les dialogues de paix pour la Colombie, comme les farces de dialogue du mouvement (putschiste) de San Isidro à Cuba. Et des milliers d'autres exemples.

L'histoire des dialogues regorge d’expériences les plus diverses, qui vont de l’accouchement des savoirs (dans la maïeutique de Socrate) jusqu’aux falsifications dans l'utilisation du dialogue manipulé en tant qu’embuscade idéologique pour mettre trompeusement,
« sur un pied d'égalité », ce qui est simplement méconnaissable, inadmissible et immoral. Tels qu’ont coutume d’être les dialogues convoqués par l'empire, ou les dialogues ouvriers-patrons ; les dialogues utilisés à la télévision comme exemples de la démocratie bourgeoise mise en spectacle, ou les dialogues proposés aux jeunes pour leur faire avaler le mensonge que « nous sommes tous égaux » sous le capitalisme. Et beaucoup tombent naïvement dans le panneau.

Dans les conditions actuelles de domination capitaliste, venir à une table de dialogue, ou en exiger une, implique d'expliciter les agendas concrets, le curriculum des interlocuteurs et toutes les inégalités qui entourent l'initiative. Nous ne pouvons pas avoir de dialogues sur la pauvreté dans le monde si l'un des partenaires y participe en ayant faim. On ne peut pas dialoguer sans dénoncer la coercition, les menaces ou les limitations imposées avant ou pendant le dialogue. On ne peut pas dialoguer sur la paix s'ils sont les propriétaires de l'industrie de la guerre planétaire ; on ne peut pas dialoguer sur la culture s'ils sont les propriétaires des machines de guerre idéologiques, qu'ils déguisent en « médias » ; on ne peut pas dialoguer sur la démocratie s'ils exercent un blocus sur nos pays. Rien de tout cela ne ressemble au dialogue ou à la civilisation. Nous pouvons aller nous asseoir à leurs tables, mais jamais nous n'y irons ingénument.

Il n'est pas intransigeant d'exiger des conditions décentes. Ce qui est inacceptable, c'est de tomber dans le piège, qu'ils nous ont tendu des milliers de fois, en abusant de leur pouvoir autoritaire et de classe. Ce n'est pas de l'arrogance que d'exiger l'égalité des chances et des conditions. Ce n'est pas de la pétulance que de soumettre le contenu des ordres du jour à un examen approfondi et, surtout, de faire valoir notre droit d'inclure dans les agendas les questions qui nous importent et qui nous préoccupent historiquement.

Devons-nous dialoguer avec tout le monde ? Seulement s'ils respectent les peuples, s'ils méritent la confiance des luttes. Nous avons besoin d'instruments scientifiques et d'aides théoriques et méthodologiques pour arriver à une table de dialogue suffisamment informés, pour y arriver suffisamment avertis de tout éventuel subterfuge bourgeois, pour y arriver nourris de l'expérience de la lutte depuis la base. Éviter à tout prix d'obéir à tout agenda sans concertation, même s'il est déguisé en agenda collectif. Y participer avec la certitude que nous parlerons un langage commun, sans jargon « technique », sans enchevêtrements sémantiques que nous ne comprenons pas ou sur lesquels nous n'avons pas été consultés. Y participer avec la force morale de nos histoires de lutte et de nos grandes victoires révolutionnaires. Mais ne jamais y participer ingénument. « Ils nous ont vaincus plus par la tromperie que par la force », disait le géant Simon Bolivar, qui en savait long en matière de dialogues.


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