Le jeune homme aux faibles ressources économiques et plein d’enthousiasme, qui entra dans les ateliers du journal Noticias de Hoy — suivant les traces de son frère Roberto, linotypiste et typographe, devenu un excellent journaliste — pour gagner sa vie, avait la certitude qu'un jour, tôt ou tard, il apposerait son nom, Rolando Pérez Betancourt, sur les chroniques et les articles qu'il plaçait alors dans les galées de l’imprimerie, au milieu de l'odeur du plomb.
À l’époque, il va au collège jusqu’en classe de quatrième. Tout en travaillant, il complétera plus tard ses études jusqu'au niveau universitaire. C'était un lecteur insatiable, un dévoreur constant de films dans les cinémas de quartier. Gina Lollobrigida, Sophia Loren et Marilyn Monroe furent ses petites amies à l'écran, et dans un moment de transe, il se vit aux prises avec Marlon Brando. Rapidement, il ira plus loin, en découvrant que le cinéma est un art, qu'il divertit certes, mais qu'il peut aussi enrichir l'être humain.
Pendant ce temps, la Révolution bouillonne dans les rues de la ville. Jeune rebelle, responsable et téméraire, il se forge un caractère, fidèle à sa classe. Les yeux fixés sur les changements et l’engagement d’en faire partie, et l'oreille ouverte à l'expérience des vétérans du journal, à commencer par le leader communiste Blas Roca.
Ainsi fut Rolando Pérez Betancourt que l’on compta parmi les fondateurs du quotidien Granma le 3 octobre 1965. Dès lors, il grandit dans l'écriture et l'observation — ses premières notes parurent dans Noticias de Hoy, lorsqu'il se faufilait de l'atelier dans la rédaction des sports — dans la culture et dans la confirmation de ses convictions politiques. Un Rolando radical et indivisible, parce que le reporter, le chroniqueur, le critique de cinéma, l'éditeur, le romancier et le militant ont fusionné en une seule pièce tout au long de son œuvre et de sa trajectoire de vie.
Très tôt, il marqua la chronique de son style. Il n’hésitait pas à se risquer aussi bien dans les profondeurs des récifs coralliens qui bordent l'archipel — il a couvert un championnat du monde de sports sous-marins organisé à Cuba avec le photographe Alberto Korda — que dans les communautés les plus reculées du pays. Ou bien il s’embarquait sur un bateau pour parler des pêcheurs de haute mer. Ou encore, il introduisait dans la lettre imprimée la respiration des petites gens d'une époque à l'autre de notre histoire.
Les lecteurs, et surtout les journalistes en formation, feraient bien de rouvrir les livres dans lesquels Rolando a rassemblé les joyaux du genre, Cronicas al pasar et Sucedio hace 20 años, et de se rapprocher de ses outils conceptuels exposés dans La cronica, ese jíbaro. En toute justice, il reçut le prix national de Journalisme José Marti pour l'ensemble de son œuvre, ainsi que le prix de Journalisme culturel José Antonio Fernandez de Castro.
Un beau jour de 1973, avec l’accord du directeur de Granma, Jorge Enrique Mendoza, et de la responsable de l'information, Marta Rojas, il prend en charge une rubrique sur le cinéma. Un pari risqué — le risque a toujours été indissociable de la pratique journalistique de Rolando — mais indispensable si l'on souhaitait avoir un regard neuf et objectif sur les films qui se projetaient sur les écrans du pays et, en particulier, les productions cubaines.
Rolando était désormais prêt à atteindre sa plénitude dans cette tâche. La rubrique Chronique d’un spectateur a maintenu, avec une rigueur inaltérable, pendant près de 50 ans, un regard toujours aigu et pénétrant. Esthétique, éthique et idéologie s'entremêlèrent dans chacun de ses articles. Avec des principes identiques et de la passion, et le déploiement de formidables dons pour la communication en direct avec le spectateur, le critique, membre fondateur de l'Association de la presse cinématographique cubaine, passa aux émissions télévisées Tanda del domingo — successeur de l'un de ses maîtres, Mario Rodriguez Aleman —, Cine vivo, Noche de cine et La séptima puerta, dont il a pris congé le 17 février. Il serait bon de prolonger la compilation de ses commentaires sur le cinéma, intitulée Rollo critico, dans une nouvelle édition.
L'Icaic a reconnu en lui « le défenseur cohérent du cinéma de meilleure qualité, déterminé à faire comprendre l'essence de la hiérarchie culturelle de chaque film face à la production commerciale, face au langage manipulateur du cinéma étranger aux valeurs humaines et artistiques, et il nous lègue un modèle de pensée engagé envers le cinéma et la culture ».
En démarrant une interview qu’il avait accordée il y a quelques années à l'écrivain Marilyn Bobes, cette dernière avait observé que, même si Rolando avait une visibilité notable en tant que critique, son statut d'« excellent écrivain » n'était pas encore estimé à sa juste valeur. Ceux qui se plongeraient dans Mujer que regresa et La ultima mascarada de la cumbancha découvriraient le ton et la pulsation avec lesquels il refléta des situations sociales et humaines complexes, comme les conflits de familles séparées par le détroit de Floride et le scénario explosif de l'ambassade du Pérou à La Havane en 1980, lorsqu'elle fut envahie par des gens peu recommandables.
Sur le plan du travail et des relations humaines, Rolando sut être un ami, transparent et loyal, et un chef intransigeant. Pendant plus de deux décennies, il fut à la tête de la rédaction culturelle de Granma, d'où il eut l’occasion de peaufiner des vocations professionnelles, non seulement parmi les membres de son équipe mais aussi dans d'autres rédactions. Il serait intéressant de se replonger, comme le signale Yisell Rodriguez Milan, responsable de l'édition numérique, dans les 495 matériaux journalistiques de Rolando archivés entre 2014 et 2023.
Le témoignage de la jeune Yeilén Delgado, actuelle responsable des correspondants du journal, me dispense d'offrir mon point de vue personnel, qui serait imprégné des longues années de liens étroits dans diverses tranchées que Rolando et moi avons partagées et qui écrit : « Il était, dit Yeilén, tel qu'il apparaissait dans ses écrits et à l'écran, ferme, mesuré, extrêmement intelligent (...) Il était aussi très radical ; il ne croyait pas aux demi-mesures, à menager la chèvre et le chou, à être ni pour ni contre. Il dominait la synthèse avec une maîtrise enviable et aussi la capacité de douter, d'analyser, de conclure et de laisser la place à d'autres interprétations. La capacité du projet révolutionnaire à engager et à enthousiasmer les jeunes était l'une de ses préoccupations les plus récurrentes. »
Ces mots, auxquels je souscris pleinement, décrivent une attitude constante qui s'est manifestée dans les congrès et les forums de l'upec et de l'Uneac – dans cette dernière organisation, il avait été élu membre du Conseil national lors du 9e Congrès –, dans les analyses du Parti, dans les événements internationaux et au coin de la rue dans le quartier.
J'imagine, maintenant qu'il est parti le samedi 18 février au matin, qu'il animera des salons de discussions sur l'humain et le divin, le révolutionnaire et le non-révolutionnaire, la bataille de la culture contre l'inculture, où qu'il soit. Il sera accompagné d'autres personnes qui ont fait école à Granma, comme Agustin Pi, José Manuel Otero et Marta Rojas. Je suis sûr — nous le sommes tous — que l'exemple de Rolando Pérez Betancourt ne cessera de croître. •
Deje un comentario