Notes sur l'Idéologie de la Révolution cubaine


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Il me semble que ce qui donne une cohérence au travail culturel, politique et idéologique, c'est la définition de l'Idéologie de la Révolution cubaine.

Elle se fonde sur les principes directeurs des processus cubains de libération nationale et d'émancipation sociale, sur le développement d'une pensée propre maquée, comme le souligne José Marti, par le fait de placer de manière relative, de singulariser, la pensée universelle, en fonction des exigences de la réalité spécifique cubaine.

Fidel Castro, profond connaisseur de la pensée martinienne, fut l'architecte et celui qui donna au projet révolutionnaire cubain, dans la praxis et dans sa pensée dialectique, son contenu universel propre. Selon ses dires, sa contribution à la théorie révolutionnaire fut l'union de la pensée marxiste avec la pensée de José Marti. Il en résulte que l'idéologie de la Révolution cubaine contient deux composantes directrices : la pensée révolutionnaire cubaine et la pensée marxiste adaptée à notre réalité.

Cette combinaison est rigoureusement nécessaire pour comprendre les processus historiques et les complexités actuelles de Cuba et des pays du Tiers monde, dont l'évolution est très différente de celle des pays du Premier monde. Alors que ces derniers ont constitué le centre de la formation de la modernité capitaliste, les premiers ont formé la périphérie ou les espaces marginaux du monde moderne.

Cela implique une complexité découlant de la domination et de l'exploitation des pays impérialistes qui caractérise l'évolution historique et les luttes actuelles auxquelles nous sommes confrontés.

À cet égard, Karl Marx écrit, dans une lettre adressée à la revue russe Otechestvennye Zapiski (Annales de la Patrie), à propos de la tentative de N. K. Mikhaïlovski de transposer, de manière schématique, des contenus du Capital à la réalité russe : « Il veut à tout prix transformer mon aperçu historique sur les origines du capitalisme en Europe occidentale en une théorie philosophique et historique sur la trajectoire générale à laquelle tous les peuples, se trouvent fatalement soumis – quelles que soient les circonstances historiques qu’ils traversent – pour aboutir finalement à cette formation économique qui, parallèlement à une impulsion supérieure des forces productives, du travail social, assure le développement de l'Homme dans tous et chacun des aspects. (C'est me faire trop d'honneur et, en même temps, un trop grand sarcasme) ».

Les caractéristiques de la société cubaine et de son évolution se basent sur des aspects très différents de ceux de l'Europe et des États-Unis, puisque la nôtre a été une société coloniale-colonisée, esclavagiste et réduite en esclavage, productrice de matières premières mais positionnée dans le réseau commercial nord-sud et est-ouest, selon Marti, « dans la fidélité de l'Amérique ».
L'étude de sa complexité et de l'évolution de la pensée révolutionnaire cubaine permet de comprendre pourquoi un processus ininterrompu de libération nationale et de justice sociale se produit dans notre pays, lequel converge vers le socialisme comme conséquence des luttes de classe, sociales et idéologiques.

La composante martinienne différencie ce socialisme de celui de l'Europe de l'Est, car il introduit les contradictions et les paradoxes typiques latino-américains et l'aspect humaniste dérivé de la confrontation avec les facteurs capitalistes qui ont structuré une société esclavagiste, et plus tard une société dépendante, non seulement sur le plan économique mais aussi sur le plan culturel.
Lénine qualifiera la Guerre hispano-étasunienne de première guerre impérialiste. Marti, qui avait une profonde connaissance des États-Unis, comprit que Cuba serait un facteur déterminant dans la naissance de l'impérialisme étasunien, c'est pourquoi il consacra toutes les forces de sa pensée et de son action à jeter dans notre pays les bases de l'équilibre mondial : « Une erreur à Cuba, c’est une erreur en Amérique, est une erreur dans l'humanité moderne. Celui qui se lève aujourd'hui avec Cuba se lève pour tous les temps. »

À propos de la pensée marxiste, il convient de prendre en considération qu'il s'agit d'une théorie en trois parties : matérialisme historique, matérialisme dialectique et économie politique. Il est important, à l’heure de transmettre les contenus du marxisme, que le concept d'économie politique ne soit pas un technicisme économique, mais une vision, une méthode et un concept essentiellement politiques.

À propos du matérialisme historique, il s'agit de l’analyse essentiellement théorique et philosophique que l’on ne doit pas confondre avec la science historique. Celle-ci, comme toute science, est régie et évolue sur la base de méthodes rigoureuses appliquées à des recherches factuelles dont dépend la meilleure connaissance de la réalité. Ses conclusions conduisent à des débats et à des abstractions qui pénètrent dans des champs métahistoriques.

La science historique rend hommage à l'idéologie, à la politique et à la théorie et les enrichit. Ce n'est pas une esclave, c’est une épée et un bouclier de libération entre les mains des créateurs de politiques et des idéologues actuels et combatifs. C'est de la matière première pour la théorie.

Un concept fondamental pour l'étude de sociétés spécifiques est celui de Formation économique et sociale, créé par Marx, qui permet d'étudier un complexe économique et social spécifique, avec une évaluation objective des différences (par exemple, les modèles soviétique, chinois, vietnamien et coréen avec le modèle cubain sur la base de leurs évolutions historiques, culturelles et sociales), essentielle pour comprendre la contemporanéité et la richesse qu'il possède. Au-delà même du schéma base-superstructure, qu'il a lui-même utilisé de manière si efficace, mais que l’on ne doit pas utiliser à discrétion (comme tout autre schéma binaire). L'essence de la formation économique et sociale est l'interrelation et l'interdépendance de toutes les composantes d'une société spécifique, hiérarchiquement établies, pour configurer ses propres caractéristiques (le parallélogramme des forces d’Engels). La complexité cubaine acquiert ainsi une cohérence cognitive.

Un autre aspect important est celui de la lutte des classes. Il est rigoureusement nécessaire d'étudier en direct les caractéristiques des classes sociales et des luttes de classes dans une société spécifique.

Dans le cas de Cuba, son histoire est liée à la présence de l'esclavage, sous ses différentes modalités, y compris l'esclavage qui va de l'esclavage patriarcal à l'esclavage intensif dans les plantations et de là à une société qui remplace l'esclavage légal par la discrimination raciale.

La structuration de la société républicaine a rendu plus complexe la question des classes sociales. Pour comprendre cette complexité, il faut non seulement prendre en compte la classe en soi et la classe pour soi, mais aussi les divisions intra-classes, parmi lesquelles se trouve la division raciste au sein d'une même classe sociale.

Il faut également tenir compte de l'influence sur l'idéologie des goûts et des modes qui agissent, fondamentalement, sur les classes moyennes qui, souvent, dans des pays comme le nôtre, sont plus une moyenne classe qu'une classe moyenne.

Lénine a apporté deux éléments fondamentaux : l'étude de la phase impérialiste du capital à sa naissance et la relation État-Révolution, qui approfondit les structures du pouvoir et analyse la création des situations révolutionnaires au début du 20e siècle.

Le marxisme en tant que théorie et pratique révolutionnaires, ainsi que les contributions de Lénine, doivent être confrontés au stade actuel du capitalisme (par exemple, la différence entre le capital financier et le capital spéculatif ou la domination néolibérale sous des alliances de puissances capitalistes au-delà de la période des guerres inter-impérialistes).

Il est fondamental de maîtriser aussi bien la théorie, que la méthode et les concepts marxistes et léninistes pour donner une cohérence théorique à l'idéologie de la Révolution cubaine. Ces concepts doivent être délestés de ce qui est désormais dépassé et doivent être lestés et relestés avec les résultats des expériences et des nouvelles connaissances apportées par le 20e siècle et ce début de 21e siècle.

Nos instruments idéologiques doivent être à la hauteur du débat actuel avec de nouvelles propositions, fruit de notre expérience et du développement de la conscience politique qui a, en José Marti et Fidel Castro, ses créateurs les plus profonds et les plus réalistes.

Le statut de Cuba en tant que « satellite privilégié » dans le cadre de l'expansion impérialiste étasunienne a créé une aspiration chez sa bourgeoisie et dans des secteurs de sa classe moyenne, liée à la domination symbolique et à la prédominance, chez beaucoup d'entre eux, du modèle de l’« american way of life ».

Ce fut une influence visible dans notre société, qui a vu le jour au 19e siècle et a consolidé le lien néocolonial. La Révolution cubaine a été une confrontation ouverte des traditions, coutumes, habitudes, croyances de ce qu’il y a de plus authentique dans « l’ajiaco cubain » qui constitua cette combinaison extraordinaire que nous appelons « cubanité ». Elle s’est forgée durant des siècles. Cette façon cubaine d'être, de sentir et de faire, qui identifie nécessairement notre nation, se formait dans le peuple en confrontation avec les projections qui se pliaient à un nouveau style de colonialisme.

Le sujet exige un traitement en profondeur et non des simplifications et des vulgarisations qui, ces derniers temps, ont beaucoup à voir avec l'improvisation et la spéculation du fait de la méconnaissance des aspects fondamentaux de l'histoire et de la culture cubaines.
Il existe des centres de recherche, des chercheurs et des universitaires qui peuvent contribuer à une meilleure compréhension de l'Idéologie cubaine, qui a trouvé dans le marxisme une méthode et une pratique qui ont permis de canaliser une grande partie de la pensée révolutionnaire antérieure, notamment celle de José Marti. Ce sont nos points forts.

L'artisan de la Révolution cubaine, Fidel Castro, qui rompit avec les dogmes qui entravaient la possibilité d'aboutissement d'une Révolution à Cuba (la théorie du fatalisme géographique, la théorie selon laquelle « on peut faire une révolution avec l'armée, sans l'armée, mais pas contre l'armée », et celle de « pour qu'une révolution triomphe à Cuba, elle doit nécessairement avoir triomphé auparavant aux États-Unis »), comprit que les changements à Cuba, la voie vers le socialisme, devaient répondre aux besoins les plus pressants de la société cubaine, devaient être profondément humanistes (éducation, santé publique, réforme agraire, réforme urbaine).

Et, en outre, répondre, avec une vision de l'avenir, à une grande révolution humaniste qui avançait en construisant un nouveau socialisme, lié aux problématiques de l'Amérique latine et du Tiers monde, et dont le principal obstacle était l'impérialisme étasunien.
Le fait d’établir, dès ses débuts, (Félix Varela, José de la Luz y Caballero, Rafael Maria de Mendive) le lien entre la science, la conscience et la vertu a caractérisé la pensée cubaine.

Pour que le pays se développe, la pratique et la pensée scientifique étaient nécessaires, et elles devaient s'accompagner d'un sentiment patriotique, formateur d’une conscience nationale (de la science pour créer de la conscience ; de la conscience pour faire de la science).

Cela allait de pair avec la pratique de l'éthique dans tous les aspects de la vie du pays. Ce fut l'école cubaine qui transmit dans toutes les sphères sociales cette aspiration à construire une société nouvelle, libre, d’égalité sociale et humaniste.

Il convient de dépasser la dichotomie orthodoxie-hétérodoxie afin de développer une véritable dialectique marxiste appliquée à l'évolution et à la réalité cubaine qui permette de comprendre non seulement les textes originaux qui sont à l’origine de la conception marxiste, mais aussi d'étudier le résultat de la contribution de la pensée marxiste au 20e et au début du 21e siècle, de ses contradictions, et de ce qui, à partir de la praxis de la Révolution cubaine, a donné forme à une conscience révolutionnaire, et pas seulement patriotique. L'union au projet révolutionnaire, le contenu spécifique de la définition des classes sociales et de la lutte des classes, dans un pays où l'esclavage, la colonisation, la restauration néocoloniale, le problème racial et sa situation dans l'expansion de l'impérialisme étasunien (différent dans son évolution des empires européens) ont façonné et donné ses caractéristiques spécifiques à la lutte des classes à Cuba.

Une étude de la formation des militants communistes et des secteurs révolutionnaires permet de conclure que chez beaucoup d'entre eux, la présence de textes fondamentaux de l'Idéologie de la Révolution cubaine est absente ou déficiente.

On peut observer également l'absence de certains aspects essentiels de notre théorie révolutionnaire dans une partie importante de la population.

Dans cet aspect, il faut faire une distinction entre ce qu’est la formation de philosophes et d’intellectuels, qui doivent approfondir et moderniser la théorie, à partir de la pratique révolutionnaire cubaine et ce qui devrait faire partie des connaissances générales des œuvres classiques de l'Idéologie de la Révolution cubaine.

Il est conseillé de faire une sélection de lectures parmi les ouvrages les plus importants de la théorie révolutionnaire. La diffusion de ces œuvres doit être accompagnée de séminaires, de cours et d'ateliers de débats.

Il n'est pas souhaitable par contre de concevoir des manuels qui, de par leur structure, refléteraient nécessairement les critères de leurs auteurs et réduiraient la richesse, tant littéraire que de contenu, des classiques de la pensée révolutionnaire. Les universitaires doivent avoir des sélections de lectures à connaître, y compris des observations des classiques, qui ne sont pas toujours dans les manuels.

Dans la formation des révolutionnaires cubains, notamment des militants communistes, la maîtrise des idées fondamentales de José Marti et de Fidel Castro, les bâtisseurs de la pensée révolutionnaire cubaine, est essentielle. Ce lien doit être établi avec la formation marxiste, comme un tout dialectiquement lié.

De même, il convient de prendre en compte les œuvres de figures importantes de la pensée révolutionnaire cubaine, telles que : Félix Varela, Carlos Manuel de Céspedes, Ignacio Agramonte, Antonio Maceo, Maximo Gomez, Diego Vicente Tejera, Julio Antonio Mella, Antonio Guiteras, Ruben Martinez Villena, Pablo de la Torriente Brau, Juan Marinello, Carlos Rafael Rodriguez et Blas Roca, entre autres.

Il est essentiel de réunir dans ces études les figures qui ont développé un mode de pensée qui construit le savoir, de ce que nous sommes, que ce soit en poésie ou dans les sciences sociales. Citons ici Fernando Ortiz, Nicolas Guillén, Alfredo Guevara, Roberto Fernandez Retamar, Fernando Martinez, qui ont apporté une contribution majeure, avec un vaste groupe d'essayistes, à une meilleure compréhension de la société cubaine.

Il est important de procéder à une sélection d'œuvres qui permettent la formation intégrale des révolutionnaires cubains. Afin de contribuer à la réalisation de ce projet, je me permets de soumettre la proposition suivante :

Bibliothèque de base du révolutionnaire cubain :

Karl Marx : Le Manifeste du Parti communiste, Thèses sur Feuerbach, Prologue à la contribution à la critique de l'économie politique et Critique du programme de Gotha.

Friedrich Engels : Le rôle du travail dans la transformation du singe en homme.

José Marti: Œuvres choisies de Notre Amérique, sur les États-Unis, sur ses projections nationales et internationales et sur le parti et la Guerre nécessaire.

Vladimir I. Lénine : L'impérialisme, stade suprême du capitalisme et L'État et la révolution.

Antonio Gramsci : Sélection de Lettres de la prison.

Julio Antonio Mella : Gloses de la pensée martinienne et une sélection d’autres travaux.

Antonio Guiteras Holmes : El septembrismo et Programa de la Joven Cuba.


Fidel Castro : Sélection de textes clés sur des questions conceptuelles, depuis l’attaque de la caserne Moncada à sa définition mature du concept de Révolution dans son discours du 1er mai 2000 (Le Centre Fidel Castro travaille actuellement à l’élaboration des œuvres choisies).

Ernesto Guevara : Le socialisme et l'homme à Cuba, Lettre à Fidel Castro, 25 mars 1965.

Une sélection de textes qui donnent un aperçu complet de la complexité du panorama stratégique mondial actuel.

Cette sélection de lectures peut être complétée par des ouvrages importants qui permettent de mieux comprendre le scénario dans lequel les auteurs classiques ont écrit. Nous suggérons : La biographie de Marx, par Franz Mahring ; la biographie de Lénine par Gerald Walter ; la biographie de José Marti par Jorge Mañach et Cintio Vitier ; la biographie d’Antonio Guiteras par José Tabares del Real et Paco I. Taibo ; la biographie de Che Guevara par Maria del Carmen Ariet y Taibo et la biographie de Fidel Castro par Katiuska Blanco.

Le général d'armée Raul Castro et le président Miguel Diaz-Canel Bermudez ont produit des discours qui revêtent une signification particulière pour l'approche de l'époque actuelle, la lutte idéologique et le renforcement de l'Idéologie de la révolution cubaine.

La sélection des discours les plus transcendants dans le Parti, dans le gouvernement, dans les interventions publiques, ainsi que l'intervention de Diaz-Canel dans Paroles aux intellectuels et ses discours au dernier Congrès de l'Union des artistes et des écrivains de Cuba (Uneac), devraient être une lecture nécessaire, non seulement comme complément de la tradition révolutionnaire, mais aussi pour la compréhension des stratégies actuelles et des concepts de la bataille actuelle de la Révolution cubaine dans ses diverses manifestations.

Il est évident que l'ampleur et la complexité des sélections de textes qui sont spécifiées comme sources ont été conçues pour être ajustées dans chaque cas, en tenant compte du niveau et de l'étendue de l'activité de formation dans laquelle elles sont appliquées.

 


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