Personne n'est obligé d'applaudir un film salué par la moitié du monde, mais pour le moins, avant de donner un avis, il faudrait l’avoir vu.
Le président Trump, dans ses critiques sévères de Parasite, le film qui a obtenu le grand prix aux Oscars, a laissé entrevoir qu’il ne le connaissait pas, ce qui ne l'a pas empêché de l’accuser d'être un film étranger, parlé dans une autre langue, d’être sous-titré, interprété par des Asiatiques, et – pour finir, ce qui doit lui avoir été soufflé par un quelconque conseiller à la sortie du cinéma – : il s’agit d’un plaidoyer politique et social contre le système qu'il encense !
Le monde du cinéma sait déjà que quiconque tenterait de contester la manière de procéder du président se verrait méprisé par des messages insultants sur twitter. Ainsi, Meryl Streep est « une actrice de seconde zone », Robert de Niro « un individu au QI très bas », le réalisateur noir Spike Lee « un raciste », l'acteur Alec Baldwin (qui l'imite dans l’émission Saturday Night Live) un comploteur « qui devrait être sanctionné en même temps que ce programme », ce qui a récemment amené Baldwin à le comparer à Hitler, et la dernière perle, il y a quelques jours, lors de la réunion électorale dans le Colorado, où il a critiqué Brad Pitt : « Je n'ai jamais été l’un de ses grands fans ; il s'est levé et a dit quelque chose de malin, c'est un petit malin » – parce que l'acteur, après avoir reçu son Oscar, a plaisanté sur le procès politique, sans témoins, qui « a jugé » Trump.
Les acolytes affiliés au Parti républicain ont applaudi lorsque le président en campagne s’est montré déconcerté par l’attribution de l'Oscar à Parasite et ils ont appelé à revenir à l'époque où le prix était décerné à des films comme Autant en emporte le vent : un avertissement de la part de la coupole du pouvoir aux vents du changement, qui – en vue de maintenir les hégémonies et autres considérations – semblent arriver jusqu’à l'Académie d'Hollywood : « Un film sud-coréen ! Qu’est-ce que cela veut dire ? Nous avons déjà assez de problèmes commerciaux avec la Corée du Sud. En plus de cela, nous leur donnons le prix du meilleur film de l'année... Il était bon ? Je n’en sais rien. Revenons à Autant en emporte le vent, s'il vous plaît. Le crépuscule des dieux. Tant de grands films... »
Les spectateurs qui ont vu Parasite, et qui connaissent sa qualité, se moquent encore de la critique injuste, cuisinée dans le Colorado, surtout après que les producteurs du film ont répondu que le problème est que le président est incapable de lire les sous-titres. Mais, que voulait dire Trump par « revenons à Autant en emporte le vent ? »
Conservatisme et racisme de première main, ni plus ni moins, et avec cela, une désinformation offensante, à moins que, sachant où il posait le pied, peu lui importait de reverdir les lauriers d'un film, certes, d'anthologie, mais sur un second niveau d'évaluations, après qu'il a été établi qu'en plus de ses connotations racistes, ne manquait pas de sirops cinématographiques et autres artifices pour idéaliser le passé esclavagiste du Sud.
En plein 21e siècle, le mythe d'Autant en emporte le vent, porté au Pinacle par l'énorme promotion qui l'accompagna, s’affaisse et ne tient pas la route. Il y a un peu plus de deux mois, le 15 décembre 2019, le film fêtait les 80 ans de sa grande première à Atlanta, mais Hollywood a préféré faire l’impasse et célébrer plutôt Le Magicien d'Oz, également de 1939.
Dans le documentaire The Legend Goes On (2014), la prestigieuse sociologue étasunienne Camille Paglia décrit de façon simple ce que fut le film : « il n'est pas honnête par rapport à ce que ressentaient les esclaves de l'époque. »
En août 2017, l'Orpheum Theatre, un cinéma historique de Memphis, a décidé de retirer la projection annuelle de Autant en emporte le vent, à la suite des affrontements raciaux sanglants qui avaient eu lieu à Charlottesville (Virginie), où il est apparu clairement que les relations raciales étaient toujours une question en suspens aux États-Unis, et où Trump reçut de sévères critiques pour la tiédeur de ses commentaires envers les suprémacistes blancs, un secteur stimulé par la flambée républicaine : « Les deux groupes portent la responsabilité », disait Trump à l'époque, en se lavant les mains et sans analyser d'où étaient venues les agressions, comme celle du néo-nazi qui avait tué une femme avec sa voiture.
Cependant, les défenseurs du film Autant en emporte le vent, utilisé comme matériel visant à tirer des enseignements critiques ne manquent pas, si bien qu’il est intéressant que ce film soit vu comme un classique du cinéma qui marqua son époque, son poids raciste est bien trop fort pour que les nouvelles générations non conservatrices le prennent en considération. Ceci, sans perdre de vue le fait que, en tant que cinéma commercial, le film fut le couronnement d’Hollywood pour le son et la couleur spectaculaire, ainsi que du « star system ».
Il est bien connu que le tout-puissant producteur O. Selznick a vidé le roman d'amour de Margaret Mitchell de tout ce qui pourrait être critique envers les racistes du Sud, y compris les références au Ku Klux Klan fondé par l'extrême droite étasunienne en 1865 avec des vétérans de la guerre de Sécession. Mais, il suffit de voir comment les Noirs libérés, délinquants en puissance, sont représentés pour être intoxiqué par la puanteur raciste qui se dégage du film.
L’Académie d’Hollywood tenta d'atténuer le problème en donnant l'Oscar du second rôle à Hattie MacDaniel, la première actrice noire à le recevoir, pour sa bonne performance dans le rôle de la « Mamie » inconditionnelle de Scarlett O'Hara. L'ignominie est venue plus tard : lors de la cérémonie de remise des prix, comme elle était Noire, et également lesbienne, on la fit asseoir sur un banc séparé, bien loin de ses collègues de tournage, et elle ne fut pas autorisée à assister au banquet des lauréats parce que les lois ségrégationnistes l’interdisaient.
Revenir aux films du style Autant en emporte le vent pour les opposer à des films comme Parasite ?
Impossible de penser à une réponse respectueuse.
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