Como la cigarra (Comme la cigale), cette chanson populaire de l'Argentine Maria Elena Walsh est devenue un symbole de résistance dans l'histoire de son pays et du continent, depuis sa création en 1973. À l’époque, elle fut un appel d'encouragement à lutter contre la dictature militaire. À l’heure actuelle, alors qu’elle est écoutée en Argentine et qu’elle se multiplie sur les réseaux sociaux, elle incarne la conviction que lorsque la pandémie causée par le coronavirus sera passée, nous devrons devenir de meilleurs êtres humains.
Le jeudi 26 mars, dix minutes avant 21h, 35 artistes argentins ont interprété cette chanson ensemble et l’ont partagé sur les réseaux sociaux et sur trois chaînes de la télévision argentine. Au fil des jours, des dizaines de milliers d'internautes dans différentes parties du monde ont eu accès à cette interprétation collective. Dans notre pays, elle a été diffusée par Habana Radio, dans l’émission Cuba Libre, dirigée par l'historien et promoteur culturel Ernesto Limia, en présence d'Israël Rojas, du groupe Buena Fe.
La liste des chanteurs qui se sont impliqués est éloquente : Leon Gieco, Teresa Parodi, Soledad Pastorutti, Pedro Aznar, Ligia Piro, Abel Pintos, Victor Heredia, Lula Bertoldi, Wos, Juan Carlos Baglietto, Sandra Mihanovich, Nahuel Pennisi, Nacha Guevara, Marcela Morelo, Alejandro Lerner, Mica Vita, Luciano Pereyra, Kevin Johansen, Elena Roger, Liliana Herrero, Jairo, Hilda Lizarazu, Lisandro Aristimuño, Palo Pandolfo, Julia Zenko, Georgina Hassan, Gabo Ferro, Coti Sorokin, Mavi Diaz, Emiliano Brancciari, Gustavo Santaolalla, Liliana Vitale, Patricia Sosa, Franco Luciani et Javier Malosetti, avec une production musicale de Lito Vitale et à l'appel du Réseau de solidarité coordonné par Juan Carr.
Il est intéressant de revenir sur l’histoire de cette chanson. En 1973, Maria Elena Walsh jouissait déjà d'un grand prestige en tant qu'écrivaine, compositrice, dramaturge et chanteuse. Elle s'était fait connaître tout particulièrement auprès du public enfantin, avec des chansons et des poèmes ; en 1968, son spectacle Juguemos en el mundo (Jouons dans le monde), un récital pour des dirigeants qui captive les adultes à jamais. Durant cette période, jusqu'en 1978, elle a enregistré six disques, dont l'un, en 1973, intitulé Como la cigarra, qui incluait la chanson du même nom. Walsh vivait alors des jours d'effervescence qui se sont ensuite transformés en incertitude : le retour de Peron, l'irruption des paramilitaires et enfin le coup d'État qui lança l'infâme Processus de réorganisation nationale, autrement dit le terrorisme d'État.
Lors de sa création, la chanson n'avait rien à voir avec la tempête politique en cours. Le biographe de Walsh, Sergio Pujol, explique : « Elle l'avait composée en s'inspirant des acteurs passés de mode, qui n’ont plus la possibilité de travailler et se trouvent dans une sorte de retraite anticipée. C'était une chanson d'espoir qu’elle leur adressait. Mais par la suite, comme dans bien d'autres cas, les bonnes chansons peuvent prendre d'autres significations dans des circonstances particulières et prendre de la force presque à l'infini. »
C'est ce qui s'est passé lorsque les militaires ont intensifié la répression. En 1978, Mercedes Sosa a enregistré une première version de la chanson dans les studios Polygram avec l'orchestre d'Oscar Cardozo Ocampo pour l'inclure dans son album Serenata para la tierra de uno. La chanson a été censurée, mais La Negra [Mercedes Sosa] a réussi à l'inclure dans la version mexicaine du même album.
Dès lors, la chanson a pris son envol, comme l'explique le critique Gabriel Plaza : « Mercedes l'a programmée lors de son concert de retour en Argentine en 1982. C'est un moment clé dans l'histoire de la chanteuse et de la chanson composée par Maria Elena Walsh, quelque dix ans auparavant. Como la cigarra devient un hymne pour cette génération à travers la voix de Mercedes. La chanson semble avoir été écrite pour elle, une chanteuse qui a subi l'exil et la censure dans sa propre chair, tandis que sa voix et le premier couplet semblent être une élégie de son propre pays : "Ils m’ont tuée tant de fois / je suis morte tant de fois / et pourtant je suis ici ressuscitée". »
Par les temps qui courent, les derniers vers nous sont bien utiles : « ... et à l'heure du naufrage et de l'obscurité / quelqu'un te sauvera / pour continuer à chanter ».
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