L'Union des Écrivains et des Artistes de Cuba est née du Congrès des Écrivains et des Artistes cubains qui a eu lieu dans l'Hôtel Habana Libre, en août 1961. Ceux qui allaient avoir des responsabilités dans sa direction avaient vivement participé aux sessions souvent tumultueuses (ce fut au moins mon expérience) de ce congrès. Pour sa préparation il existait une commission dont le président naturel était Nicolás Guillén, les vice-présidents étant Alejo Carpentier et moi, et Pablo Armando Fernández le secrétaire. Quand l'Union a fêté son trente-cinquième anniversaire, on m'a demandé quelques mots pour une cérémonie dans le Théâtre National. Je ne voudrais pas répéter ce qui a été dit alors. Mais je ne peux pas non plus avoir deux souvenirs des mêmes faits, de sorte que le lecteur et la lectrice de ces lignes doivent me pardonner ce que je répète un peu.
Lors de mon intervention dans le congrès en question j'ai exprimé mon (notre) rejet « à toute volonté de limiter la riche variété des formes et des tendances », toute « exclusion préméditée de ceux qui ne communient pas avec nos credos esthétiques », en même temps que j'affirmais que nous n'avions « ni la moindre intention de créer une sorte de société d'agrément béatifique, faite de fauteuils, d’ennui, de domino et de soirées de fumée et de plaisanterie » et, évidemment, j'ai nouvellement proclamé notre amour à une révolution alors toute neuve dont l'essentielle volonté de justice nous avait déjà gagné le cœur. À cette occasion j'ai rendu hommage à un ami et admiré compagnon, le poète Rolando Escardó, décédé dans un accident alors qu'il préparait une rencontre annonçant le congrès ; et dans mes mots d'il y a dix ans, j’ai évoqué la mémoire d'un autre grand compagnon, Pepe Rodriguez Feo qui, ayant été millionnaire, a ensuite été alphabétiseur et bibliothécaire de l'Union avant de mourir. Aujourd'hui je devrais mentionner un grand nombre de disparus et, au nom de tous, pour leurs passages relativement récents, je le ferai avec Jesús Orta Ruiz « el Indio Naborí » et Luis Suardíaz.
Après la clôture du congrès, nous disposions un beau local, qui avait été la résidence du banquier Gelats (dont on disait que le fantôme se promenait la nuit) et nous avions de grandes ambitions, rien de plus. Il fallait tout organiser. Par exemple, ce qu'on appelait alors les sections, relatives aux différents arts et filiales dans les provinces. Il fallait aussi impulser le travail éditorial et créer des publications périodiques, qui apparaîtraient l'année suivante : La Gaceta de Cuba et la revue Unión. Nicolás était à la tête des deux : dans La Gaceta, avec la collaboration de Lisandro Otero (il ne faut pas oublier que Nicolás comme Lisandro étaient des journalistes), et dans la revue, avec Alejo et moi, à qui se somma rapidement Rodriguez Feo.
En si peu d’espace je ne peux pas tenter de mettre l'histoire initiale de l'UNEAC : un sigle qui, entre parenthèse, ne correspondent pas « à Union Nationale, etc. ». La « N » est là pour rendre prononçables les initiales qui dans le cas contraire ressemblerai à une arcade. Je rappelle que j'ai parrainé son utilisation, alors que Luis Martínez Pedro a dessiné son logo. En cette époque il y avait déjà l'ICAIC et l'ICAP, et ensuite naîtrait une faune de lettres dont Titón se moquerait dans Muerte de un burócrata. Je vais me limiter à évoquer deux moments. Un, la conférence qu’a offert un tel Roger Garaudy en 1962 dans les locaux de l'UNEAC, qui, à ma question sur ce qui était si mauvais dans la peinture soviétique du réalisme socialiste, il a répondu impudemment qu’il n'y avait pas une riche tradition plastique dans la Russie du début de la Révolution d'Octobre. Quand je lui ai mentionné des noms comme Chagall, les futuristes, les constructivistes et de nombreux autres, il a répliqué, fâché, que les contre-révolutionnaires parlaient ainsi dans son pays, à quoi j'ai correspondu en lui disant qu'ainsi parlaient les ignorants dans le mien. La soirée est devenue tendue. L'autre moment a été la Crise d'Octobre en 1962. Suite à la situation si menaçante que nous vivions, j'ai proposé à Nicolás de créer un Atelier pour produire les œuvres émergentes des écrivains et des artistes. Nicolás a accueilli la proposition avec enthousiasme et il a dirigé cet Atelier qui, entre autre, a compté un petit périodique appelé Taller, dirigé, je crois, que Félix Pita Rodriguez. Nicolás, Pablo Armando, Luis Marré et moi avons été parmi ceux qui ont écrit des poèmes d'occasion, dont le plus beau était un petit écrit par Marré. Et ici, chère amie Ana Llerena, termine mon espace.
Traduit par Alain de Cullant
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