Entretien avec Miguel Barnet


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« Je suis entré dans cette jungle merveilleuse et magique et je me suis beaucoup nourri des valeurs artistiques qu’il y avait dans ce monde, ainsi que les valeurs éthiques et philosophiques. » Photo: Œuvre “La quietud” (2018), de Manuel Mendive

L’apôtre des prouesses pour l’indépendance de Cuba, notre José Martí, a dit : « Grande est la difficulté et ceux qui doivent y faire face aussi ». Le poète, essayiste, ethnologue et romancier Miguel Barnet Lanza fait partie des grands Cubains qui, tout au long de leur excellente vie, ont faits face et surmontés de grandes difficultés.

Les plus de cinquante ans consacrés à la recherche et à la préservation de nos racines ethniques et les publications liées à ce sujet font du Dr Miguel Barnet le meilleur disciple de Fernando Ortiz et d’Argeliers León. « Ortiz était un exemple, un maître et, surtout, une illumination dans ma vie. Dès mon plus jeune âge, j’ai vécu dans un environnement social où les questions liées d’une certaine manière à la culture africaine n’étaient pas taboues, mais plutôt escamotées, presque interdites. Cependant, je suis entré dans cette jungle merveilleuse et magique et je me suis beaucoup nourri des valeurs artistiques qu’il y avait dans ce monde, ainsi que les valeurs éthiques et philosophiques. Et je dois tout cela à mes maîtres Fernando Ortiz et Argeliers León, qui m’ont emmené dans cette voie et je me suis laissé emporter aussi », a déclaré Barnet.

Précisément dans le but de perpétuer et de rendre hommage à l’œuvre de Don Fernando Ortiz, l’un des plus grands scientifiques du XXe siècle, reconnu par Juan Marinello comme le troisième découvreur de Cuba, a été créé la Fondation qui porte son nom le 21 septembre 1995. Avec l’émergence de cette institution - résultat d’une initiative du ministre de la Culture de l’époque, M. Armando Hart Dávalos ; d’Abel Prieto Jiménez, ancien président de l’Union des Écrivains et des Artistes de Cuba (Uneac), et de « ce serviteur qui était à l’époque, vice-président de l’Uneac », selon les dires du propre Barnet, - la culture cubaine soldait une dette avec l’un de plus remarquables de ses intellectuels. .

« La création de la Fondation était une nécessité, un sujet en suspens. C’était un grand engagement que nous avions avec Don Fernando, une figure si importante et immense, et c’est pourquoi la Fondation a un travail si riche, car elle est stimulée précisément par sa grande œuvre (...) D’abord est venu l’idée un peu imprécise, insolite, de créer un centre, mais Hart a eu l’idée brillante d’une Fondation, parce qu’elle aurait un spectre beaucoup plus large et d’une plus grande portée, depuis un point de vue créatif et méthodologique. Nous aurions la possibilité de donner et de recevoir des informations, d’attribuer des prix et des bourses, en plus d’avoir le droit de posséder notre propre maison d’édition », a déclaré Miguel Barnet en se référant aux origines de la Fondation Fernando Ortiz.

Considéré comme un centre de recherche lié à l’Université de La Havane et à l’Académie des Sciences de Cuba, la principale ligne directrice des travaux de la Fondation est le sauvetage et la conservation de la vaste œuvre de Fernando Ortiz, que son meilleur disciple considère, « depuis le point de vue anthropologique et sociologique, comme le premier découvreur de l’idiosyncrasie du cubain ».

Barnet souligne : « Nous nous sommes dédiés à publier les documents inédits de Don Fernando, qui sont si nombreux qu’en 25 ans de la Fondation, nous n’avons pas encore pu les faire tous connaître, car Ortiz était un homme avec une vocation omnivore de créer, d’enquêter et de découvrir les racines de notre cubanité, dans son sens le plus complet, le plus digne et le plus large. Partager avec lui les six dernières années de sa vie, et aussi étudier son travail avec acuité, me permet de m’assurer que personne ne s’est penché plus sur les racines ethniques du peuple cubain que ce pionnier de la recherche dans notre pays. Il a également été un pionnier sur les questions raciales. Un homme qui, dès son plus jeune âge, a combattu n’importe quelle expression raciste ».

Tout aussi louable est le travail de certains chercheurs et collaborateurs liés à l’institution, qui effectuent actuellement une recherche approfondie dans les archives de l’Institut de Littérature et de Linguistique et de la Bibliothèque Nationale, pour recueillir tous les documents qui apparaissent dans diverses publications, telles que dans les revues Bohemia et Estudios afrocubanos, cette dernière créée par Fernando Ortiz lui-même.

Le travail effectué depuis plus d’un quart de siècle par la maison d’édition de la Fondation, qui, bien qu’étant petite, comme l’explique Raisa del Campo, vice-présidente de l’institution, « mais plus d’une centaine de livres et de cartes ethnographiques y ont été publiés ». Ces publications comprennent des œuvres d’auteurs contemporains, en plus du bulletin d’information de la Fondation et de sa revue Catauro, titre acquis du livre Nuevo catauro de cubanismos de Fernando Ortiz, qui est devenu une sorte de dictionnaire de l’espagnol parlé à Cuba.

Raisa del Campo souligne que « malgré la situation difficile dans le pays, et aussi dans le monde, en raison de la pandémie, notre maison d’édition a réussi à sortir trois titres qui seront bientôt disponibles pour les lecteurs d’une manière virtuelle. Ces trois œuvres sont Archivo del folclor cubano, de Fernando Ortiz ; Moros y cristianos, de Pablo Rodríguez, conçu à partir d’un article publié dans le numéro 35 de notre revue Catauro, consacré à cette occasion à l’alimentation à Cuba, et Crónicas y cronistas de Indias Occidentales, traitant de l’archéologie aborigène de Cuba, par l’écrivain Ulises González Herrera.

« Ces indicateurs – précise del Campo - démontrent que notre maison d’édition, ainsi que la Fondation, n’ont pas cessé leur travail acharné sur les questions liées à la recherche, ce qui a permis à nos collaborateurs et chercheurs de se sentir beaucoup plus engagés dans les projets que nous développons actuellement et ceux prévus pour les années à venir ».

Comme une grande réalisation de la Fondation, sa vice-présidente souligne la participation de « notre éditorial à la dernière Foire Internationale du Livre de La Havane où, pour la première, fois nous avons eu la possibilité d’avoir notre propre stand dans le Pavillon Cuba ». Elle explique que les œuvres de l’institution ont toujours été présentes lors de foires précédentes, mais publiées par d’autres éditeurs, tels que Ediciones Unión. L’année dernière, cependant, « notre participation a été directe. Dans le cadre de cet événement, nous avons rendu hommage à notre fondateur et président Miguel Barnet, au sujet de son 80e anniversaire. Nous avons également commencé les célébrations de notre 25e anniversaire, et dans notre stand, vraiment attrayant, avec les œuvres publiées par la maison d’édition, se trouvait le numéro 37 de notre revue. Pour vous dire la vérité, nous avons vécu une très belle expérience, dans laquelle nous ressentons la chaleur et la présence de l’Association Hermanos Saíz ».

La tenue de séminaires, de symposiums et d’expositions qui contribuent à illustrer la vaste réflexion et l’œuvre créative de Fernando Ortiz ; offrir des espaces de débat et d’échange entre les penseurs, les chercheurs et les spécialistes cubains et étrangers qui ont fait des études sur les aspects de la culture en général, et la diffusion de la pensée contemporaine liée à la culture cubaine, latino-américaine et caribéenne composent, parmi de nombreuses autres activités, le savoir-faire de la Fondation Fernando Ortiz. Il y a de nombreuses raisons de faire d’elle une créancière de l’Ordre Carlos Juan Finlay, la plus haute distinction décernée par le Conseil d’Etat aux personnes et aux institutions pour leurs contributions scientifiques au profit de l’humanité.

Cette reconnaissance, récemment donnée à l’institution et à son président : « m’a positivement surpris, car je pense que c’est une très grande stimulation. En même temps, elle représente un grand engagement envers Cuba », a déclaré le Dr Miguel Barnet Lanza qui, visiblement ému, comme un résumé de notre conversation, a finalement ajouté : « Beaucoup sont les prix et les décorations que j’ai reçu dans ma longue vie. De tous, celle que j’apprécie le plus, celle que je porte toujours dans mon cœur, est celle qui m’a été donné il y a quelque temps dans le Centro de Estudios Martianos, qui s’appelle Utilité de la Vertu. Je crois que j’ai été un fidèle serviteur de cette nation, de son peuple. Loin de tout égoïsme ou individualisme, la mission principale de tout chercheur, de tout écrivain, est de la faire pour les autres ; ce sera sa plus grande vertu. Tout ce que j’ai fait, mes œuvres, mon travail de promotion culturelle, mon travail de recherche, la Fondation Fernando Ortiz elle-même, tout en général, a été pour glorifier ce pays, d’enrichir sa culture, car ma seule obsession dans la vie a été Cuba. Sans la stimulation d’être né et de vivre sur cette terre, je n’aurais pas pu faire ce que j’ai modestement accompli. Ma grande inspiration est Cuba ».

 

 


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