Les personnes qui transitent par l’historique Paseo del Prado de La Havane, dirigent un regard curieux vers le Capitole National. Non seulement pour la majesté de sa façade, soutenue sur des colonnes de style néoclassique, ou pour l'imposante coupole de quasi une centaine de mètres de hauteur, admirée par les habitants et les étrangers depuis de nombreuses années.
Ce qui surprend et intrigue, même les moins curieux, est l'échafaudage métallique qui recouvre l’édifice monumental, ainsi que le déploiement de travailleurs qui, défiant le vertige, grimpent au sommet du dôme pour rendre au Capitole la splendeur de ses premières années.
La restauration de cette icône havanaise, considérée comme le deuxième point culminant de la ville, est à la charge de plusieurs entreprises appartenant au Bureau de l'Historien de La Havane.
Motivé pour connaître les détails de cet ambitieux projet qui suscite aussi bien l’admiration que des questions, le journal Juventud Rebelde s'est entretenu avec le docteur Eusebio Leal Spengler, Historien de la ville, qui définit l’œuvre comme « la restauration de la mémoire ».
« Le Capitole est un monument national. Il l’a été et il l’est depuis l'époque de sa construction, comme une œuvre réalisée en un temps record pour laquelle les matériaux les plus précieux de Cuba et du monde ont été employés et qui s’est converti en un symbole de la République idéale », dit-il.
Eusebio Leal a rappelé que la construction a commencé en 1927 et qu’elle a été achevée en 1931, même s’il a été inauguré en 1929 dans le Salon des Pas Perdus, alors terminé.
Quel est le niveau de dégradation de l’édifice ?
Au cours des années, le Capitole a souffert les conditions propres du climat tropical de Cuba. La coupole, par exemple, est suffisamment élevée pour recevoir la salinité de la mer, ainsi que les vents du Nord et les ouragans.
Avec le temps, pratiquement toutes les canalisations des eaux de pluies ont cessé de fonctionner à cause des obturations sur les toits et les infiltrations ont endommagé des endroits qui n’auraient jamais dus être détériorés, comme les grandes salons.
Le système de paratonnerres ne fonctionnait, un terrible danger. Les lourds équipements des ascenseurs démantelés, qui étaient d’ailleurs en très mauvais état, ont été retirés des toits.
Des patios entiers étaient recouverts de plaques de béton afin d’empêcher l'entrée de l'eau, devant l’impossibilité, à l’époque, de donner d'autres solutions plus appropriées. Tout ceci a été démoli. Sous l'escalier il y avait aussi de sérieux problèmes structuraux car il était utilisé pour le transfert de lourdes charges.
La détérioration est due, en grande partie, aux diverses utilisations que l’on a données à l’édifice. Après avoir été la Chambre et le Sénat, il est devenu un musée et on a dû procéder à une grande adaptation spatiale ; on m’a même dit qu’Antonio Núñez Jiménez se préoccupait beaucoup pour ne pas l'endommager. Mais inévitablement un changement d'utilisation d'un édifice, créé pour une fonction spécifique, modifie, qu’on le veuille ou non, l'environnement intérieur.
Postérieurement il a été le siège du Ministère de la Science, de la Technologie et de l’Environnement (Citma) et de l'Académie des Sciences. Tout ceci a occasionné des dommages inévitables : la création de nouvelles bibliothèques pour d'autres fins, l’installation de centaines de travailleurs, la construction de cuisine…
Un autre problème était la dispersion d'objets, principalement des meubles, qui ont été transférés dans tout Cuba par les différents départements et unités de l'Académie et du Citma.
Le Capitole a fermé ses portes au public depuis environ deux ans. Mais cela fait seulement quelques semaines que les travaux de sauvetage et de protection commencent à devenir évidents depuis l'extérieur Pourquoi ce retard ?
Certaines choses étaient faites, bien qu’elles ne se voyaient pas de l'extérieur. D'autres ont été retardées car la restauration est très compliquée. Aussi compliquée que la construction elle-même.
Travailler sur le Capitole n'est pas pareil que de travailler sur n'importe quelle œuvre constructive. C'est très différent car l'architecture républicaine n'est pas la même que la coloniale, structurellement.
Là ont été employées d’autres pierres, comme celle de Capellanía, qui est différente de celle de Jaimanitas, utilisée dans La Havane coloniale. La pierre de Capellanía est presque blanche, précieuse, la même qui a été utilisée pour le Palais Présidentiel, aujourd'hui siège du Musée de la Révolution. Mais elle est très sensible au climat de Cuba.
On emploie des nouvelles technologies organiques pour le nettoyage de ces pierres, afin de ne pas utiliser n'importe quelle technique ou produits abrasifs. On pose des sortes de moules et lorsqu’ils sont retirés, toutes les impuretés sont enlevées et la pierre est immaculée, avec les pores ouverts.
Nous avons aussi un problème environnemental complexe : les chauves-souris. On a créé un système de basses fréquences afin qu'elles partent vers d'autres endroits, sans leur faire de mal.
Les travaux sont en cours. On peut voir que l’édifice est couvert d’échafaudages jusqu'à l'aiguille, pour la sécurité des restaurateurs qui doivent y travailler. Il y a un comité technique qui étudie les pièces de la structure, il se réunit chaque semaine sur le terrain pour analyser tous les aspects de l’œuvre, essayant que la restauration soit à la fois la plus minutieuse et la plus rapide possible.
Quel est le coût approximatif de ce projet ? Quand sera-t-il terminé ?
Actuellement je ne peux pas avancer un coût car nous consolidons le budget de chaque section séparément. La coupole, par exemple, est un objet de l’œuvre qui, pour sa nature, doit avoir un propre budget. Et c’est ainsi pour les peintures, les bronzes…
Nous travaillons depuis deux ans et ils nous restent possiblement encore trois ans de travail. C'est-à-dire que nous pourrions prendre cinq ans, un temps similaire à celui utilisé pour la construction
Le financement est uniquement à la charge du Bureau de l'Historien ?
C’est la nation qui fait les œuvres. Nous sommes les fidèles exécuteurs d'une volonté politique et d’une détermination nationale quant à la préservation de la mémoire historique de Cuba, non seulement pour le Capitole, mais pour tous les monuments, les édifices et les sites patrimoniaux.
Cet édifice a-t-il déjà été soumis à une restauration similaire ?
Des travaux de conservation ont été réalisés à différents moments. En mérite à la vérité, la défunte Dr Rosa Elena Simeón avait une préoccupation permanente pour le Capitole, elle a créé une brigade avec des hommes qualifiés qui ont travaillé pour contenir la détérioration et, si possible, éviter d'autres dommages. Mais il n’a jamais été soumis à des travaux d’une telle envergure.
Le Capitole a été construit dans le but d’accueillir le pouvoir législatif sous la pseudo république. Mais après le triomphe de la Révolution il a été destiné à d'autres fonctions, que vous avez déjà mentionnées. Pourquoi maintenant, après sa rénovation, il accueillera de nouveau le Parlement ?
La restauration du monument a été une volonté du Président des Conseils d'Etat et des Ministres, le Général d’Armée Raúl Castro Ruz. Lors de la cérémonie de clôture de la réunion correspondant à la VIIIe Législature de l’Assemblée Nationale du Pouvoir Populaire, le Président a dit députés : « Un jour, il faudra retourner au Capitole ».
Cela signifie que nous devons faire un grand effort pour qu’il soit restitué jusque dans ses moindres détails. Un de ses ordres implique de récupérer toutes les chaises, les tables, les objets dans tout le pays, qui étaient dans d’autres endroits et qui avaient d’autres usages.
Nous restaurons les salons et les hémicycles qui seront utilisés lors des séances parlementaires, bien qu'actuellement notre Parlement compte un nombre plus élevé de représentants et, logiquement, les capacités des salles ne le permettent pas de la même façon qu'avant. Mais on pourra les utiliser pour des séances protocolaires et également pour des réunions à différentes échelles.
On a beaucoup discuté sur la ressemblance de notre Capitole avec celui des États-Unis. Ces comparaisons sont toujours erronées car quand on regarde celui de Washington et le cubain, c'est comme un œuf et une châtaigne. Le dôme est différent, les dimensions sont différentes…
Ce qui se passe est que tous les congrès et les capitoles dans n'importe quelle partie du monde, de Paris à Buenos Aires ou à Montevideo, ont une relation et une implication stylistique qui marquent leurs fonctions et ce qu’ils veulent dire symboliquement.
D’autre part, les édifices ne sont pas coupables de ce qui se passe en eux. Sinon nous devrions tout démolir, car nous serions incompatibles avec les fantômes qui surgissent du passé à chaque instant. Et on ne peut pas lutter en permanence contre les fantômes. Il y a un moment où l’on doit mettre un point final et commencer l'histoire.
Je pense que c’est le moment et ce que nous faisons met aussi à l’épreuve la formation donnée à des centaines de restaurateurs qui mettent aujourd'hui en pratique leurs arts, que ce soit pour les peintures murales, les marbres, pour tout.
Quand l’édifice accueillera le Parlement cubain, sera-t-il fermé au public ?
Non, au contraire. Dans toutes les régions du monde, ces grands édifices, ayant cette signification, ouvrent à certaines heures et l’on peut visiter certains salons, certaines bibliothèques… On n'exclut pas qu'il y ait des endroits où l’on puisse exposer et voir des objets liés à la mémoire de la nation, d’une grande valeur historique.
En quelle mesure les œuvres de restauration du Bureau de l'Historien, et celle-ci en particulier, sont en syntonie avec les nouvelles formules de gestion économique que vit le pays ?
Beaucoup de travailleurs indépendants ont été contractés pour différents travaux. Mais avant tout il faut dire que l’Entreprise de Restauration et l’École Atelier du Centre Historique de La Havane sont déterminantes, car elles se dédient à la récupération des peintures murales, aux marbres, aux lustres, aux bronzes et à d’autres ornements et allégories.
Peut-on affirmer que nous nous sommes devant l’un des projets les plus ambitieux du Bureau de l’Historien ?
Oui, mais ce n'est pas seulement cela. Il doit être considéré dans un contexte de grandes œuvres, telles que la restauration des monuments publics, comme celui des généraux Calixto García, Antonio Maceo et Maximo Gomez ou celui des victimes du Maine.
Nous travaillons sur la ligne du Malecón et on a restauré le pavement, planté des arbres et réparé les lampadaires du Prado. On a aussi sauvé récemment le rectorat de l'Université de La Havane et il y a 80 jeunes diplômés de l'École Atelier qui travaillent dans le monumental cimetière Colon de La Havane.
Sur l'Avenue du Port, on peut voir la chambres des grilles, une sorte de boite en verre qui marque le début de cette avenue et la fin des grands docks, où des travaux ont également commencé. On peut aussi mentionner le château d’Atarés où des démolitions ont déjà été réalisées et où travaillent les archéologues.
Ce sont de nombreuses œuvres et une des plus importantes et transcendantales est le système des réseaux souterrains du Centre Historique, qui nous a mis en crise momentanément l'an dernier et qui a causé plusieurs coupures de courant.
Ce que nous avons fait là est une comptabilisation de tous les organismes, également par décision de l’État, afin de mettre en place les réseaux d'eau, d’égout, de gaz, d’électricité, du téléphone et de fibre optique en même temps. Et ensuite le pavement.
Qu’est-ce qui distingue les travaux de sauvetage et de sauvegarde réalisés par le Bureau de l’Historien par rapport à d’autres similaires dans le monde ?
Dans le cas du Capitole, ils seraient analogues à ce qui se fait dans le reste du monde. La grande singularité de ce processus est peut-être que le pays a non seulement la volonté politique de le faire, mais qu’il matérialise aussi cette volonté, dans les conditions économiques mondiales et, en particulier, celles de Cuba.
En général, notre travail de restauration se caractérise et a marqué les différences avec d'autres projets dans le monde par sa nature sociale, par la création d'emplois et le lien avec les besoins urgents de la communauté.
On se distingue également pour dédier une partie de nos ressources – générées dans le Centre Historique, ou apportées directement par l'État – à des projets qui sont liés à l'invalidité, la vieillesse, l’invalidité, l’éducation artistique et les métiers, ce qui a motivé l'Unesco à définir le projet de restauration du Centre Historique comme une « expérience unique ».
Beaucoup vont se demander si cela est nécessaire, si c’est d’abord l'industrie ou la poésie, le pain ou l'histoire. Mais la réalité objective est que l'un est aussi nécessaire que l'autre. Sans ce pain de l'esprit, sans ces racines, sans cette préservation de la mémoire sociale, nous ne serions rien de plus des créatures consommatrices.
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