Avant la fin du XVIIIème siècle, dans cette Méditerranée d'Amérique, une bataille singulière a commencé, qui se prolonge jusqu'à nos jours, entreprise par les opprimés contre l'exploitation des propriétaires, et les abus, les attaques et les injustices des colonialistes européens. Les peuples d’Haïti, de Saint-Domingue, de Martinique, de Guadeloupe, de Jamaïque, de la Barbade et le Saint-Vincent ont été la cible des continuelles attaques des négriers et des créoles privilégiés ainsi que des Européens, qui ne détenaient pas leur tâche criminelle de réduire par la faim et la terreur les héroïques esclaves qui réclamaient le droit de vivre comme des hommes.
Victor Hughes, le commissaire révolutionnaire français a contribué en grande partie aux rébellions des peuples opprimés de la région des Caraïbes avec son activité infatigable. Non seulement Hughes a proclamé l'émancipation des esclaves de Guadeloupe, mais, avec sa propagande, il a contribué au soulèvement des cimarrones en Jamaïque et, en 1797, de ceux de Saint-Vincent.
Les guerres européennes, comme cela s'était produit depuis l'arrivée de Colomb, transformaient complètement la situation des forces en conflit dans les îles des Caraïbes. Ainsi, nous voyons comment les royalistes et les propriétaires féodaux de Saint-Domingue (Haïti), en 1793, se sont ligués contre la Révolution et ont pactisé avec les réactionnaires coalisés contre la République Française lors de son étape la plus progressive et la plus populaire. Ils ont formalisé une convention avec la représentation du Gouvernement Colonial de Jamaïque, au moyen duquel les propriétaires français de Saint-Domingue (Haïti) livraient la domination politique de la colonie aux Anglais afin d’annihiler les conquêtes de la révolution, rétablissant l'esclavage et la traite des Noirs.
Pour sa part, le Gouvernement Colonial de Cuba – qui par les Ordres Royaux 15 et 34 de 1793 avait reçu les nouvelles de la déclaration de guerre contre la Révolution Française –, s’est disposé à coopérer pour l’écrasement de la Révolution Haïtienne. Le 3 mars 1794, provenant de La Havane, une division navale est arrivée à Bayajá sous le commandement du chef d’escadre Francisco Javier Muñoz afin de combattre la France dans sa plus riche colonie, et pour couper à la racine le mouvement révolutionnaire d’Haïti qui menaçait de s’étendre aux autres colonies des Caraïbes, y compris à Cuba.
La République des Etats-Unis d’Amérique, durant la période où l’on sentait les chocs de la Révolution Française dans les nations européennes, et qui atteignaient la région des Caraïbes, a commencé à donner des signes évidents de la vocation impériale, expansionniste, des classes qui contrôlaient l'économie nationale et sa politique internationale.
La bataille pour la domination des Caraïbes était fondamentale pour l'expansionnisme nord-américain. Il a donné naissance à la rivalité avec les puissances européennes que possédaient des colonies dans la Méditerranée d’Amérique : L'Espagne, l'Angleterre, la France, et à moindre échelle, la Hollande et le Danemark.
Bien avant la guerre d'indépendance, les Antilles ont occupé une place préférentielle dans le commerce des Treize Colonies.
Le professeur Louis M. Hacker signale :
« Le commerce avec les Antilles productrices de sucre ainsi que celui des esclaves et la fabrication de rhum, est arrivé à être, par conséquent, la pierre angulaire de l'économie de ces colonies. Leurs navires chargeaient tous les articles nécessaires pour les planteurs antillais (bêtes de somme pour les moulins, bois pour les constructions, houes, pioches, farines, aliments salés et poissons bon marché pour les esclaves), ils faisaient des voyages réguliers depuis Salem, Boston, Bristol, Newport, New York et Philadelphie vers la Barbade, Barlovento et la Jamaïque, et postérieurement, vers les îles et les établissements espagnols, néerlandais, français et danois des Caraïbes. De ceux-ci ils recevaient des métaux précieux, utilisés pour le paiement des soldes avec la métropole : de l’indigo, du coton, du gingembre, du poivre et du bois, qu’ils transbordaient pour l'Angleterre, et surtout des mélasses et du sucre destinés aux raffineries du Massachusetts et de Rhode Island, dont le rhum servait à son tour pour acquérir l’ivoire, la gomme, la cire d'abeilles et les esclaves noirs dont les îles du sucre avaient besoin. »
Les autres activités hautement productives pour les commerçants et les armateurs de navires de l'Amérique du Nord coloniale, étaient la piraterie et la contrebande, pratiqués systématiquement et à grande échelle dans toutes les Caraïbes. De 1740 à 1762, deux décennies durant lesquelles l'Angleterre était plongée dans des guerres contre la France et l'Espagne, le commerce illicite nord-américain avec les îles des Caraïbes s’est converti en un solide ciment économique des Treize Colonies. Avec la paix sont apparues les plaintes des industriels et des commerçants anglais lésés dans leurs intérêts. Les contradictions économiques à cause du commerce antillais ont provoqué des répressions, commencées en 1760 avec la stricte application des lois du Trafic et de la Navigation, qui à la fin, avec d'autres, ont donné lieu à la « partie de thé de Boston » le 16 décembre 1773 et à la naissance de la Révolution Nord-américaine.
L’indépendance ayant eu lieu avec l'aide de la Hollande, de la France et de l'Espagne, qui a consisté à de nombreux approvisionnements d'armes, ainsi que des milliers soldats, de très grandes quantités d'argent et les escadres respectives, la nouvelle République des Etats-Unis d’Amérique a rencontré des difficultés, aussi bien internes qu’externes, sur son chemin, qui ont menacé de la détruire lors de son étape initiale.
Les relations avec les pays des Caraïbes ont été soumises à des changements constants. Durant la guerre, le commerce des Etats-Unis s'est étendu avec les colonies des Caraïbes, aussi bien néerlandaises que françaises et espagnoles. Dans l'île de Cuba, malgré les restrictions du système hispanique, les relations commerciales se sont multipliées à si grande échelle que l'Intendant des Finances de La Havane a dû protester.
À un moment donné, cette situation a commencé à se stabiliser, à s’améliorer apparemment, suite à l'approbation de certaines conventions internationales des Etats-Unis avec la Grande-Bretagne et l'Espagne à la fin du XVIIIème siècle.
Une des clauses du traité – du 19 novembre 1794 – signé entre la Grande-Bretagne et les Etats-Unis, se référait au commerce avec les Indes Occidentales, c'est-à-dire, les îles des Caraïbes sous domination anglaise. Elle permettrait le commerce des Etats-Unis avec les Antilles Britanniques et elle signalait qu’il se réaliserait entre les îles britanniques européennes et l'Amérique du Nord sur une base de liberté réciproque et parfaite ; elle permettait aux bateaux nord-américains de moins de 70 tonnes de charger dans les Antilles ; cette concession établissait que ceux-ci ne transporteraient pas leurs charges en Europe ; mais dans la pratique, elle empêchait de reprendre l'exportation des produits antillais vers les Etats-Unis.
La convention avec l'Angleterre a influencé une autre avec l'Espagne. Le Traité d’Amitié, des Limites, du Commerce et de la Navigation entre les Etats-Unis et l'Espagne a été signé à San Lorenzo le 25 octobre 1795.
En dépit des belles promesses de la dite convention, les conflits hispano-américains ont continué chaque fois plus.
Suite à l’Ordre Royal du 21 janvier 1796, la concession accordée aux Nord-américains pour introduire des farines et des vivres par le port de La Havane a été annulée. Mais le Capitaine Général et gouverneur de l'Île de Cuba, don Luis de las Casas, conseillé par l'Intendant des Finances, don José Pablo Valiente, a recouru à la classique procédure des autorités hispanique des Amériques : elle est observée mais elle n'est pas accomplie et il a continué à permettre le commerce entre Cuba et les Etats-Unis.
La méfiance envers la jeune république contribuait à accentuer la crise des relations avec l'Espagne, aggravée par la compliquée et incompréhensible situation internationale pour les gouverneurs d'un empire dont le pouvoir commençait à décliner. Un exemple est la lettre de l'ambassadeur espagnol à Paris, datée du 12 juillet 1798, par Ordre Royal on a transféré le Capitaine Général de Cuba, sur le projet des Etats-Unis d'occuper la Louisiane et les Florides, animés par les Anglais, qui comptaient s’approprier du commerce des îles espagnoles des Caraïbes et de la Nouvelle Espagne.
En 1800 Thomas Jefferson a été élu à la présidence des Etats-Unis et il a donné les pas initiaux pour l'expansion de l'Amérique du Nord, en suivant la politique impériale britannique au coût du puissant empire colonial hispanique qui commençait à se désagréger.
Le 9 Vendémiaire de l'année 9 – octobre 1800 – au moyen d'un traité entre la République Française et le Roi d'Espagne, celui-ci a restitué le territoire de la Louisiane. Le 10 Floréal de l'année 11 – avril 1803 –, à Paris, les représentants de la France et des Etats-Unis ont signé un traité au moyen duquel Napoléon Bonaparte cédait tout le territoire de la Louisiane aux Etats-Unis, sans décrire avec clarté les limites orientales de ce dernier, avec les Florides, ce qui a donné lieu à une série de difficultés frontalières.
Avec la cession de la Louisiane, les Nord-américains commencent une marche sans trêve ni repos vers le Mexique, la Floride et les îles proches des Caraïbes. Ils l'ont fait en employant tous les moyens imaginables, en utilisant, presque toujours, toute classe d’aventuriers et de frontaliers mécontents.
Les théories sur lesquelles ils basaient leur politique d'expansion impérialiste formulées initialement par Thomas Jefferson en 1805, trouvent leurs interprètes les plus caractérisés de 1885 à 1890. Joseah Strong, dans un livre largement divulgué, a développé un thème analogue au Manifest Destiny de l'historien John Fiske. Mais il précisait comme objectifs possibles : dominer le Mexique, le reste des pays de l'Amérique espagnole – en incluant Cuba, Porto Rico, Saint-Domingue, Haïti – et ensuite s’étendre jusqu'en Afrique. Le professeur de l'Université de Columbia, John W. Burgess, a proclamé le droit des anglo-saxons de dominer le monde, puisqu'ils ont la mission de diriger la civilisation dans le monde moderne et d'apporter cette civilisation aux races barbares, et le devoir d’avoir une politique coloniale.
Cette politique a été orientée, jusqu'à la sixième décennie du XIXème siècle, par les intérêts esclavagistes du sud des Etats-Unis. Karl Marx, dans son article publié dans Die Presse, Vienne, octobre 1861, analyse la politique de l'esclavocratie nord-américaine et sa tendance expansionniste vers le Mexique et les Caraïbes avec ce jugement :
« L'intérêt des esclavagistes a servi d'étoile polaire à la politique des Etats-Unis, tant à l’extérieur qu’à intérieur. Buchanan, en réalité, avait acheté le poste de président grâce à la publication du Manifeste d'Ostende, avec lequel l'acquisition de Cuba, que se soit au moyen du vol ou de la force des armes, se proclame comme la grande tâche de la politique nationale. Sous son gouvernement, le nord du Mexique a déjà été divisé entre les spéculateurs de terre nord-américains, qui attendaient avec impatience le signal pour tomber sur Chihuahua, Coahuila et Sonora. Les expéditions des pirates et des flibustiers contre des États d'Amérique Centrale étaient dirigées, rien de moins, depuis la Maison Blanche de Washington. Dans la plus intime relation avec cette politique extérieure, dont le but était la conquête de nouveau territoire pour l'extension de l'esclavage et la domination des propriétaires d'esclaves, figurait la réouverture du trafic négrier. Le propre Stephen A. Douglas à déclaré en 1859 : ‘‘Lors de la dernière année, on a inscrit plus de Noirs d’Afrique que durant les années précédentes, même à l'époque où le trafic était encore légal. Le nombre d'esclaves importés l'année dernière est arrivé à quinze mille’’ ».
Ce tableau esclavagiste, qui dépassait la Guerre de Sécession, porte les épigones de l'expansionnisme colonial de Fiske, Strong et Burgess pour proclamer les doctrines morales du Destin Manifeste qui enveloppe dans ses sombres contours l'existence dramatique des peuples soumis des Caraïbes, et il moule à la fin, au goût des gérants du nouvel empire, les relations des Etats-Unis avec Cuba, la Jamaïque, Haïti, Saint-Domingue.
Quant l’invasion de l'Espagne par les troupes de Bonaparte a eu lieu en 1808, les Etats-Unis avaient commencé très sérieusement les gestions pour obtenir que l'empereur des français cède l'Île de Cuba, en échange de sa neutralité. En se référant aux différents aspects de ce grave problème et aux possibles concessions que Napoléon permettrait, Jefferson écrit à Madison, depuis Monticello, le 27 avril 1807 :
« Bien qu'avec une certaine difficulté, il consentirait aussi que l’on ajoute Cuba à notre Union, afin que nous n'aidions pas le Mexique et les autres provinces. Cela serait un bon prix. Alors je ferais lever dans la partie la plus éloignée au sud de l'Île une colonne qui porterait l'inscription Nec Plus Ultra, comme pour indiquer que là était la limite qu’il ne pouvait pas dépasser, de nos acquisitions dans cette direction ».
Bien que les conflits provoqués par les guerres européennes aient donné lieu à la Loi de l'Embargo du 22 décembre 1807, qui a produit une véritable crise aux Etats-Unis et dans plusieurs pays des Caraïbes, ainsi que la guerre anglo-américaine de 1812-1814, ils ont obligé les Nord-américains à ralentir leur marche expansionniste. Dès qu’ils ont dépassé cette étape dangereuse, ils ont repris leurs plans précédents avec une plus grande détermination et ils n'ont pas caché leurs intentions de convertir les Caraïbes en un lac nord-américain. John Quincy Adams, secrétaire d'État sous le gouvernement de Monroe, par note du 27 avril 1823, a déclaré à Mr. Hogh Nelson, Ministre des Etats-Unis à Madrid :
« Ces îles, par leur position locale, sont des appendices naturels du continent américain, et une d'elles, celle de Cuba, presque en vue de nos côtes, est venue à être, pour une multitude de raisons, d'importance transcendantale pour les intérêts commerciaux et politiques de notre Union ».
Quand Adams a écrit cette note, le gouvernement des Etats-Unis avait déjà reconnu l'indépendance des colonies espagnoles du Nouveau Monde, et Bolivar réalisait un des plus prodigieux exploits du XIXème siècle. Mais ils ont refusé de reconnaître le gouvernement de la République Haïtienne. Pressé par les intérêts esclavagistes, le président Monroe, dans le message dirigé au Congrès – le 25 février 1823 –, qui était comme une réponse indirecte à la note haïtienne du 6 juillet 1822, refusait de reconnaître l'indépendance d’Haïti, à admettre cette nation dans le rang d'un état libre en Amérique, non pas pour les prétextes qui étaient allégués dans le texte du message, mais, comme le signale très bien le professeur Jean Price Mars, ils étaient inquiets de voir symboliser aux yeux des masses d’esclaves noires l'exemple qui pouvait les induire vers la protestation révolutionnaire afin de se libérer de leurs oppresseurs.
C’est l'esprit qui a dominé les réactionnaires esclavagistes, membres du Congrès Nord-américain, pour s'opposer à la participation de délégués des Etats-Unis au Congrès de Panama, convoqué par Bolivar, sachant que l'agenda devait inclure le thème relatif à l'indépendance d’Haïti et, aussi, à la possible aide aux Cubains pour se libérer de l'oppression coloniale.
Cette détermination, purement esclavagiste, du gouvernement des Etats-Unis a eu aussi une influence dans celui de la Grande Colombie en rejetant les propositions présentées par Desrivière-Chanlatte, envoyé par le président Boyer, d’Haïti, à Bogotá en 1824.
L'année précédente, inspiré par les Anglais, le président Monroe a envoyé au Congrès de l'Union le célèbre et discuté message qui contenait les principes de la politique des Etats-Unis.
Dans L’Histoire de diplomatie, B.P. Potemkin écrit :
« La Doctrine de Monroe comprenait deux principes : un, défensif, qui ne permettait pas l'agression et l'expansion coloniale des états européens ; en partant de cette base, les efforts des Etats-Unis étaient dirigés vers l'objectif de ne pas prendre sur eux les engagements en rapport avec la politique européenne. En même temps, la doctrine avait aussi un autre principe offensif ; les Etats-Unis ne renonçaient pas, comme l’avait exigé Canning, aux prétentions territoriales et aux droits spéciaux en Amérique Latine. Les Etats-Unis, se dissimulant sous le masque de défenseur des autres états américains, prétendaient aussi dominer les deux continents américains, avec la seule exception des parties qui étaient déjà des colonies d'autres états ».
Publié dans la revue Anales del Caribe de la Casa de las Américas
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