Comme nous l’avions déjà signalé, les Étasuniens se sont lancés sur les Caraïbes avant la fin du XVIIIème siècle, profitant des changements dans la corrélation de forces internationales provoqués par les guerres napoléoniennes.
Les Anglais, qui ont détruit l’escadre espagnole au cap San Vicente, assumant le commandement des routes maritimes américaines – le 14 février 1797 – allaient se convertir en propriétaires exclusifs du commerce dans les Caraïbes, avec la seule concurrence des Nord-américains. Ils s’étaient appropriés de Demerara et d'Essequibo en 1796, et de Trinidad en 1797. Ils ont tenté un habile jeu diplomatique avec Toussaint Louverture, qui leur permettait d'effacer les menaces d'une rébellion des masses esclaves de Jamaïque et des autres colonies des Caraïbes.
Un nouveau commandant anglais à Haïti, le général Thomas Maitland, s'est chargé du commandement durant les moments critiques où Toussaint Louverture battait les troupes anglaises d'occupation avec succès. Après la capitulation britannique au Môle Saint-Nicolas – le 31 août 1798 – un traité secret a été conclu entre Toussaint et Maitland pour l'évacuation des parties de Saint-Domingue occupées par les Armées de sa Majesté Britannique.
La nouvelle situation dans cette île des Caraïbes a provoqué aussi un grand émoi parmi les expansionnistes d'Amérique du Nord et parmi les autorités coloniales hispaniques, pour les répercussions qu’elle pourrait avoir, aussi bien à Cuba qu’à Porto Rico.
Toussaint Louverture a commencé des négociations avec John Q. Adams, successeur de Washington à la présidence, et il lui a envoyé un message – le 6 novembre 1798 – dans lequel il lui assurait que le commerce nord-américain serait réellement assuré sous son administration, si les transactions maritimes renouaient le service de changement, souvent perturbé par les risques de la piraterie. Le mois suivant, il a accrédité un représentant personnel à Washington, Mr. Bunel, un commerçant blanc et nord-américain, qui a été officiellement reçu par le secrétaire d’État Pickering et le président Adams lui-même.
Le 9 février 1799, le Congrès des Etats-Unis a autorisé le président Adams à rétablir les relations avec Saint-Domingue (Haïti), et en mars, le secrétaire d'État Pickering a désigné le docteur Edgard Stevens pour commencer les négociations avec le général Toussaint Louverture.
En ce moment historique, la France et l'Angleterre étaient en guerre. Et cette nation, par le biais du général Maitland, essayait de pousser Toussaint à réaliser un mouvement d'autonomie pour en tirer des avantages commerciaux et, peut-être, pour obtenir ensuite des bénéfices politiques. Il est évident que les plans britanniques étaient contraires aux intérêts nord-américains, et cela n'échappait pas à la sagacité d'Adams et de ses conseillers mais, aussi bien le président que son secrétaire d'État Pickering étaient convaincus de la faiblesse des moyens de défense dont ils pourraient disposer, ils évitaient d'être entraînés dans de dangereuses combinaisons diplomatiques, sans abandonner pour cela leurs intentions expansionniste. D’autre part, étant donné que le développement du commerce de son pays avec les Caraïbes était un objectif essentiel et immédiat de la politique du Département d'État, il a voulu assurer le succès de ses négociations avec Toussaint en l'adaptant à la ligne tracée par le Foreign Office de Londres. C’est pour cette raison que Pickering et Maitland ont longuement discuté le projet de traité que le militaire anglais apportait de Londres, en route vers Saint-Domingue, et où étaient consignées les directives que les deux gouvernements devaient suivre conjointement quant à leurs relations avec Toussaint Louverture en ce qui concerne le développement du commerce entre les Etats-Unis, la Grande-Bretagne et Saint-Domingue.
Alexandre Hamilton, qui avait été consulté, a écrit à Pickering le 9 février 1799 : « Les Etats-Unis ne doivent s’engager à soutenir l'indépendance de Saint-Domingue, par aucune garantie, par aucun traité formel, pour que celui-ci puisse être évoqué comme un témoignage ».
Et Pickering, qui représentait la ligne politique d’Hamilton dans le cabinet d'Adams, en suivant ses indications, dans une dépêche confidentielle du 12 mars 1799, disait à Rufus King, représentant diplomatique des Etats-Unis à Londres :
« Nous ne devons pas nous immiscer dans la politique de l'île. Toussaint doit réaliser ce qu'il croit être son propre intérêt et celui de ses concitoyens : il emmènera probablement le pays à l'indépendance. Il est probable qu'il souhaite assurer le bénéfice de notre commerce comme un des moyens sûrs pour l'obtenir. Aucune considération morale ou politique ne doit nous induire à le décourager. Au contraire, tout nous incite à le pousser vers l'indépendance. Cependant, nous ne devons pas la faire.
Nous sommes allés plus loin de ce que nous permet l'accord du Congrès. Nous ne serons pas indemnisés de nos pertes par la République Française. La liberté de commerce avec Saint-Domingue est le seul moyen de nous récupérer. Et il n'y a pas de doute que nous l'obtiendrons.
Toussaint ne peut pas former un État noir. Les Noirs sont trop ignorants. Le gouvernement sera militarisé durant la durée de cette guerre et peut être plus longtemps.
Le commerce des Etats-Unis et celui des autres nations – car nous ne devons pas obtenir des privilèges exclusifs - seront amplement approvisionnés de toutes leurs nécessités et ils pourront exporter ce qui leur est nécessaire. De cette manière, il n'y aura pas lieu et il ne devra y avoir, de tentatives pour distraire les Noirs de leurs occupations de cultivateurs et de les attirer vers la navigation.
Confinés dans leur île ils ne seront pas des voisins dangereux. Rien n’est plus clair que ceci, savoir que si les Noirs de Saint-Domingue sont abandonnés à eux-mêmes, ils seront indiscutablement moins dangereux que s’ils restent des sujets de la France. »
Ces questions ont été présentes dans les conversations de Maitland et de Pickering quand ils ont examiné les sept articles du projet du traité dans le texte les Britanniques et les Nord-américains se distribuaient tout le commerce de l'île, mais modifié dans certains articles, les rendant accessibles aux objections présentées par Pickering. Une des modifications qu'il a fait accepter à Maitland consistait à limiter la contagion révolutionnaire que pouvait provoquer l'exemple funeste offert par l'insurrection des esclaves noirs de Saint-Domingue sur le sol de l'Union et sur les possessions anglaises des Caraïbes.
La paix européenne a imprimé de nouvelles directions aux forces qui se disputaient l'hégémonie des Caraïbes. Le traité de Mortefontaine entre les Etats-Unis et la France, en 1800, et celui d'Amiens entre la France et la Grande-Bretagne, un an plus tard, ont permis à Bonaparte, libre de la crainte d'une attaque navale par l'Angleterre, d’organiser une formidable escadre qui convoyait une puissante armée commandée par Leclerc et de la diriger contre Toussaint Louverture, dont les grandioses rêves politiques se proposaient de détruire le Premier Consul.
Bonaparte, qui avait obtenu la rétrocession de la Louisiane grâce au Traité de San Idelfonso, que la France possédait jusqu'à 1763, projetait de reconstruire l'empire colonial français en Amérique. Avec Haïti et la Louisiane pour commencer, parce qu'il espérait obtenir d'autres parties de l'empire colonial hispanique, comme le Mexique, Quisqueya et Borinquen, Bonaparte se proposait de dominer le commerce et les plus riches sources de matières premières du monde.
Ses plans mettaient en danger le processus de développement impérial des Etats-Unis. Mais la résistance héroïque des Noirs et des Mulâtres de Saint-Domingue, sous la direction suprême de Jean-Jacques Dessalines – continuateur de l'oeuvre de Toussaint – ainsi qu’avec l'aide des bataillions polonais qui sont passés aux files des rebelles, ont détruit l’armée française, ont obligé Bonaparte à abandonner ses plans de domination sur les Caraïbes et sur le Golfe du Mexique et à céder la Louisiane aux Etats-Unis en 1803.
Mais la guerre a éclaté entre la France et l'Angleterre, dans laquelle l'Espagne s’est trouvée immiscée. Cette guerre avec la Grande-Bretagne a causé des dommages de considération à l'économie esclavagiste de Cuba.
Publié dans la revue Anales del Caribe de la Casa de las Américas
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