Rendre hommage à Céspedes devant la statue située sur la Place d'Armes nous paraît aujourd'hui un acte naturel. En 1955, ceci a constitué un rêve de plusieurs générations, à cause d’une grande polémique. Le 27 février de cette année un nombreux public a assisté à la cérémonie pour le 81ème anniversaire de la mort du Père de la Patrie sur cette esplanade. Après plus d’un demi-siècle de démarches, d’accords et de débats, était arrivé le moment d'inaugurer le premier monument érigé en son honneur à La Havane. À onze heures du matin, le maire Justo Luis del Pozo a dévoilé la statue en marbre de Carrare, l’œuvre de Sergio López Mesa, et il a remis le grand drapeau cubain qui la couvrait à quatre élèves des écoles municipales. Au même moment, la Fanfare Municipale dirigée par Gonzalo Roig a interprété l'Hymne National et vingt et un coups de canon ont été tirés depuis la Forteresse de la Cabaña, comme cela correspondait au grade de président et de major général de la révolution de 1868. Le programme, prévu depuis plusieurs jours, a continué avec les discours du maire del Pozo et du sous-secrétaire d'État José Manuel Cortina. Un défilé des forces de l'Armée, de la Marine et de la Police a clos cette commémoration.
En plein intervention nord-américaine, en avril 1899, la revue El Fígaro a ouvert une enquête pour choisir la personnalité de notre histoire à laquelle on dédierait une statue dans le Parc Central, sur le piédestal où se trouvait celle d'Isabel II un mois avant. Dans cette étude où, pour le caractère de la publication « hebdomadaire de sport et de littérature, organe du base-ball », n'ont pas pris part toutes les couches sociales de la population, José Martí a reçu davantage de votes que d'autres personnalités telles que Céspedes, Luz y Caballero ou Máximo Gómez. Le désir de rendre hommage au Père de la Patrie a été explicite avec la constitution de l'Association des Monuments Martí – Céspedes en 1900.
Le colonel de l'Armée Libératrice Cosme de la Torriente, alors sénateur de la province de Matanzas, il a présenté un projet de loi en 1919 quant aux fêtes commémoratives à l'occasion du centenaire de la naissance du Père de la Patrie et la construction d'un monument, préalable à un concours international, avec un budget de 175 000 pesos.
Le document, a été signé par le Sénat, la Chambre de Représentants et le président Menocal. Toutefois, les crédits stipulés ne sont pas arrivés et la proposition est restée en paroles. La revue Cuba Contemporánea a suggéré, en 1923, le changement de nom de la Place d'Armes par celui de Carlos Manuel de Céspedes et la mise en place d'une statue en son honneur. Suite à l’accord de la Mairie, le changement de nom a seulement été accepté le 24 février de cette même année.
En mars 1943, l'Historien de la Ville, Emilio Roig de Leuchsenring, a répondu à une demande du gouvernement de la ville pour rédiger un rapport sur le critère de conserver la statue de Carlos III et de retirer celle de Fernando VII. Dans sa vaste exposition, l'Historien de la Ville a plaidé pour ce mouvement. Un mois plus tard, la Société Cubaine des Études Historiques et Internationales a convenu d'adhérer au rapport de Roig. En octobre de cette année, le Troisième Congrès d'Histoire, Section d'Histoire de Cuba, a approuvé un document semblable écrit par Leuchsenring, avec l'essence de celui présenté lors du congrès précédent, en 1942.
Au début de février 1955, plus de vingt conseillers municipaux présents en session ordinaire du Conseil municipal ont décidé de retirer la statue de Fernando VII et de placer celle de Céspedes sur piédestal de la Place d'Armes pour le 27 de ce mois.
Dans le livre Los monumentos nacionales de la República de Cuba. La Plaza de Armas Carlos Manuel de Céspedes, de La Habana (Les monuments nationaux de la République de Cuba. La Place d'Armes Carlos Manuel de Céspedes de La Havane), publié en 1957 par l'Assemblée Nationale d’Archéologie et d’Ethnologie, nous connaissons l’intense polémique suscitée par l'acte. Des noms comme Evelio Govantes, Julio Le Riverend, Jorge Mañach et Gastón Baquero ont signé les critiques. L’Historien de la Ville a répondu avec résolution. Sa consécration durant de nombreuses années quant aux soins et à la promotion du trésor patrimonial de Cuba lui accordait l'autorité nécessaire. Le contenu de ses arguments révèle les diatribes de ses critiques :
« L'Assemblée Nationale d’Archéologie et d’Ethnologie, en déclarant la Place d'Armes Monument National en 1941, a exclu la statue de Fernando VII, en prenant en compte le fait que là serait placée celle du Premier Président de la République en Armes, et que celle de Fernando VII n’a jamais représenté un tribut populaire havanais au monarque qui a condamné Félix Varela à mort et que ce monument n’était pas une partie indispensable de l'ensemble colonial de la Place. Il n'est pas certain que la statue de Carlos Manuel de Céspedes brise l'harmonie de la Place d'Armes. D’autre part il est vrai que la Place, depuis la construction des Palais de Gouvernement et du Segundo Cabo jusqu’a cette date, a reçu, de très nombreuses transformations, aussi bien dans son parc qu’aux alentours, ce que le lecteur pourra vérifier dans les gravures illustrant cette œuvre ».
Le 13 mars 1955, l'historien Herminio Portell Vilá qui, selon Rafael Acosta de Arriba, a approfondit le plus dans l'interprétation de la pensée du Bayamés, a publié un article dans la revue Bohemia où il expose sa vision favorable au changement des statues « Fernando VII n'a pas été un bon roi pour l'Espagne, pour l'Amérique ou pour Cuba, comme on le prétend (…) Il ne faudra pas expliquer aux curieux pourquoi on conservait la statue du « roi félon » sur la Place d'Armes, qui n’a pas fait partie de cette Place d'Armes jusqu'à 1834, au temps de Tacón ; mais en expliquant que le Père de la Patrie a enfin une statue à La Havane, on aura l’opportunité de raconter l’histoire cubaine, tonifiant et avivant les sentiments patriotiques de notre peuple »
Les paroles de l'Historien Eusebio Leal Spengler lors de l'acte de remémoration du 139ème anniversaire du geste émancipateur du 10 octobre sont nécessaires : « Pendant quarante ans nous sommes retournés à ce site depuis 1967, chaque 9 octobre, en préservant toujours à Bayamo, le berceau de la Révolution, la célébration solennelle du 10 octobre. Nous avons choisi le 9, devant le monument que notre prédécesseur, le Docteur Emilio Roig de Leuchsenring, a fait élevé sur cette place, car, à La Havane, il n’y avait rien d’autre qu’un modeste buste du Père de la Patrie placé par Hortensia Pichardo et son époux Fernando Portuondo dans un institut de la Víbora. Ce monument a rempli ses aspirations, le placer ici, au centre de cette place, comme celui de Bayamo, comme celui de Santiago de Cuba: Céspedes au centre de l'histoire, la pierre angulaire. Il a été le promoteur de l'initiative, il a été celui qui a transformé le rêve de nombreuses générations en réalité, il a converti en mot et en action ce que les précurseurs avec le sang et le sacrifice, les conspirations secrètes, les exiles douloureux, ont rêvé sans pouvoir le réaliser.
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