La première fois que je l’ai « embêté » afin qu’il soit conférencier dans mon Atelier de Photographie dans l'Académie Nationale des Beaux-arts San Alejandro, il m'a dit sans la moindre hésitation : « Quand veux-tu que je vienne ? » Quelques jours plus tard, surprenant tout le monde, il a entrebâillé la porte du laboratoire, un cigare à la main et, le sourire aux lèvres, il a dit : « Je peux entrer avec ça ? », sachant certainement qu’on lui dirait oui. Car Liborio sans son cigare c’est comme Liborio sans son appareil photo.
Je l’ai connu lors d’un anniversaire de l'école, un après-midi durant lequel, évidemment, il était invité à prendre plus d'une bonne photo. Il me revenait d’accompagner les personnalités qui arrivaient et dès qu’il a su ma tâche, il a commencé à plaisanter avec moi comme s’il me connaissait depuis toujours. Nous avons parlé de beaucoup de choses : de ses voyages, de ses rencontres avec Fidel et de ses anecdotes avec l’appareil photo. Ce fut moins d'une heure, mais un moment intense et amusant comme peu. Je n’ai pas arrêté de rire car ses plaisanteries étaient savoureuses. Après m’avoir scruter et connu ma passion pour la photographie, le moment sérieux est arrivé. Il m’a dit : « Fait un atelier de photographie pour les étudiants, je vais offrir la première conférence ». Et je l’ai fait. Dès lors il a été un ami inséparable de notre atelier, je l'ai invité plusieurs fois et il a partagé ses connaissances sans ménagements ni méfiances.
Je me rappelle de Liborio avec beaucoup d'affection. Il ne m’a jamais dit je ne peux pas. Quand je l'ai invité à illustrer un des numéro de Lettres de Cuba avec son œuvre, il m’a offert ses immenses archives : « Chico, vient à la maison afin que je te les sorte toutes et que tu prennes celles dont tu as besoin. Ne me laisse pas le faire pour toi ». Ensuite j'ai réalisé que ma demandé était vraiment irréalisable. Comment choisir les dix photos parmi tant d'autres ? J'ai fini par accepter, les yeux fermés, celles qui venaient au hasard. Quelque temps plus tard, j’ai réitéré l'invitation. Cette fois-ci pour illustrer un livre sur le dessin, dans lequel, avec certaines de ses photographies, j’abordais la façon d'organiser la perception dans la composition. Sa réponse et ses photos ne se sont pas faites attendre.
Nous nous sommes rendus visite à plusieurs reprises. Il a eu la gentillesse d’assister à certaines expositions auxquelles je l’invitais. Il a toujours profité de l'occasion pour partager quelques expériences et, soit dit en passant, il m’a encouragé à poursuivre la photographie. Il n’a jamais fermé ses portes pour partager sa passion pour la photographie ni pour donner un coup de main aux jeunes, à ceux qui commençaient.
Le dernière fois que nous nous sommes vus, il a écarté son cigare pour plaisanter avec moi et pour me réprimander car il m’avait mis de côté, chez lui, quelques photos que je n’avais pas encore été chercher : « Elles sont dans un coin de l'écran, dans un dossier portant ton nom. Tu passes par là quand tu veux pour les prendre ». Il parlait toujours avec le même naturel. J’étais vraiment étonné qu’il n’ait pas son appareil photo. Il m’a pris par l'épaule et il m'a dit une blague qui m'a fait rire, comme toujours. « Aujourd’hui je suis sorti tout nu ».
Un sincère et émouvant hommage au grand photographe cubain Liborio Noval décédé le 29 septembre 2012 à La Havane.
La Havane, 18 octobre 2012.
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