Un lot de quinze lettres inédites, extraites de la correspondance de Ernest Hemingway avec son jeune ami italien Gianfranco Ivancich [ils s’étaient connus en 1949 à Venise, ce dernier avait 28 ans et E.H. 50] vient d’être présenté au public à la Bibliothèque John F. Kennedy de Boston, inaugurée en 1979.
La « JFK » est dépositaire du plus important fonds public consacré à Ernest Hemingway. Selon les responsables du fonds Hemingway, il s’agit « du plus important corpus sur Hemingway réuni en un même lieu ». C’est en 1980 que la « Hemingway Room », dessinée par I.M. Pei, fut ouverte. La collection inclut plus de 95% des manuscrits et de la correspondance du lauréat du prix Nobel.
La Fondation de la JFK Library a acquis ses lettres en novembre dernier auprès de Gianfranco Ivancich lui-même, aujourd’hui âgé de plus de 90 ans, qui souhaitait les vendre. « Il écrit encore tous les jours », a déclaré la conservatrice de la Collection Hemingway qui est allée le rencontrer en Italie. « C’est Hemingway qui l’a encouragé à le faire »
Ces lettres qui portent sur la période 1953-1960 ne sont qu’à la disposition des chercheurs.
Ces lettres datées de La Finca Vigia (la plupart), de Ketchum, Idaho ou de Nairobi, sont rédigées à la main ou à la machine à écrire, et abordent des questions de style, la pêche au pargo ou la mort d’un des chats d’Hemingway, Willie.
De la correspondance de Hemingway adressée à Ivancich on connaissait quatre lettres, entre le 25 mai 1956 et le 30 mai 1960, trois sont datées de la Finca Vigia et une de Ketchum. Elles se trouvent dans « Hemingway, Lettres choisies » (Gallimard, 1986, « Selected letters », 1981) présentées et annotées par Carlos Baker. Y sont également publiées trois lettres adressées à Adriana Ivancich, la sœur cadette de Gianfranco, entre le 3 juin 1950 et le 9 mai 1954. Ces dernières lettres appartiennent à l’Humanities Research Center, Université du Texas, Austin.
Hem considérait Gianfranco Ivancich « à moitié comme un frère, à moitié comme un fils » (Carlos Baker). Selon Jeffrey Meyers, « il offrait à Hemingway le complément et le reflet d’Adriana », qui compta tant dans la vie de l’écrivain. Ils avaient en commun d’avoir été « victimes de guerre », Hem en 1918, Gianfranco lors de la Seconde guerre mondiale, en Afrique du Nord.
Mais Gianfranco ne fut pour Hem et pendant une douzaine d’années que le frère d’Adriana. E.H, âgé alors de 49 ans, avait fait la connaissance d’Adriana, en décembre 1948 [elle avait perdu son père en 1945] lors d’une chasse gardée près de Lasitana, dans la région de Venise où elle habitait. Elle avait alors 19 ans, l’âge de Renata dans Au-delà du fleuve et sous les arbres, pour laquelle elle a servi en partie de modèle. Elle avait dessiné un projet de jaquette pour « Le Vieil Homme et la mer» qu’écrivit « Papa » « inspiré » par Adriana au titre de « muse ». Le 15 mars 1950, Charles Scribner choisit un dessin d’elle pour la jaquette de Au delà des arbres…
« Les relations existant entre eux, pouvaient se définir comme du platonisme sentimental » (Carlos Baker). Il entama avec elle dès octobre 49 une correspondance qui devait devenir abondante, surtout de la part de Hem. Elle lui adressa 25 lettres. Il l’appelait « ma fille » et commençait ses lettres par « ma chère Adriana ». (1)
Dans diverses lettres à Gianfranco Hem ne manque pas de lui demander des nouvelles de sa sœur.
Gianfranco fit son premier voyage à Cuba au tout début de 1950. « Hemingway lui permit de vivre pendant trois ans dans la tour de la Finca et lui offrit son amitié paternelle » (Jeffrey Meyers). Gianfranco, petit, trapu, beau, calme, modeste et distant n'était guère à l'unisson des compagnons bruyants de Hemingway, raconte Meyers. Il avait aussi des goûts artistiques et bohèmes ; il avait une vieille décapotable toute cabossée, avec un trou dans le plancher et pas de capote ; les petites amies qu'il promenait essayaient de se protéger des orages tropicaux avec un parapluie. Gianfranco fit un autre séjour à la Finca Vigia, entre 1954 à 1956.
Hemingway voyait en Gianfranco « une version masculine et un substitut d’Adriana ».(Meyers)
Plusieurs années après le départ de Cuba de Gianfranco, Hem lui écrit dans une lettre de 1956: « Tu nous manques beaucoup, et c'est bien triste de voir partir quelqu'un qui était toujours aux alentours, un peu comme un frère. Maintenant, je n'ai plus d'amis, plus de compagnons de beuverie et plus de récolteurs de bananes courageux ».
Comme le dit le biographe Jeffrey Meyers, Gianfranco Ivancich fit partie du tout petit nombre de personnes autorisées par Mary Hemingway à assister à l’enterrement de Hemingway.
« C'est extraordinaire » a dit Tom Putnam, directeur de la bibliothèque Kennedy, parlant de ces 15 lettres, « c’est un véritable trésor pour les études ultérieures » consacrées à Ernest Hemingway.
En février 53, Hemingway relate la mort d’un de ses chats, renversé par une voiture : « Tu me manqueras Madame Oncle Willie. J'ai déjà dû tirer sur des gens, mais jamais sur quelqu'un que j'ai connu et aimé pendant onze ans. Ni sur quelqu'un qui ronronnait malgré deux pattes cassées. » Il rapporte également les propos d'un groupe de touristes présents le même jour sur les lieux, et à qui Hemingway a demandé de quitter les lieux : « Nous sommes arrivés au bon moment. Juste à temps pour voir le grand Hemingway pleurer parce qu'il doit achever son chat. »
Dans un style un peu plus léger, Hemingway raconte aussi ses vacances avec son épouse Mary : en avril 53, il part pour Paraiso où il peut pratiquer la pêche : « Nous avons attrapé environ 20 bons poissons par jour; beaucoup de ceux avec cette belle nageoire jaune, et des pargos. [...] Je me suis entraîné dur et je suis en forme; pas de ventre ».
En 1960, un an avant son suicide, Hemingway écrit encore : « J'ai travaillé très dur – écrit environ 100 000 mots depuis la fin janvier et finit chaque jour trop fatigué pour écrire des lettres. » Il trouvera encore le temps d'écrire une fable pour le neveu de Gianfranco Ivancich, The Faithfull Bull, dont le manuscrit original fait partie du « trésor » acquis par la Kennedy Library.
Sources :
The Guardian / Boston.com / NY Times/ Actualitte.com
Note :
(1)- Ils se virent pour la dernière fois en avril 54, à Venise. Par la suite, Adriana connut toute une série de malheurs : deux mariages désastreux, l’hostilité de ses enfants, son alcoolisme, et des difficultés psychologiques sans oublier l’échec de ses ambitions littéraires. En mars 83, elle se pendit à un arbre sur ses terres d’Ortobello, au nord-ouest de Rome (Kenneth S. Lynn)
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